Atlantico : Vincent Peillon a proposé de remettre au cœur des concertations avec les corps intermédiaires de l’Éducation nationale, la proposition consistant à permettre aux enseignants retraités de servir de tuteurs aux jeunes frais émoulus de l’IUFM afin de les aguerrir un peu avant qu’ils ne se lancent devant les classes. Comment juger une telle solution ?
Anne Coffinier : C’est une reconnaissance assez honnête de l’ampleur des carences qui existent dans la formation des professeurs depuis la création des IUFM par Lionel Jospin. En effet, si cette génération de professeurs était solide, point ne serait besoin de l’enjamber pour chercher de l’aide auprès de la génération précédente, formée dans les écoles normales… Les récentes réformes ont fragilisé encore plus les maîtres débutants en supprimant en pratique les stages dans les salles de classe.
L’idée de mettre à profit le savoir-faire et l’expérience patiemment acquis par les professeurs ayant à leur actif plus de 30 ans de métier nous semble bonne en soi. Force est de constater qu’aujourd’hui, cette expérience et ce trésor de « bonnes pratiques » sont totalement négligés par l’Éducation nationale. Les stagiaires ne sont pas confiés aux professeurs les plus reconnus par leurs pairs ou par les parents. Les maîtres de stage sont aujourd’hui sélectionnés selon des modalités mystérieuses qui, en tout cas, ne conduisent pas systématiquement à confier les jeunes professeurs à des professeurs très qualifiés et motivés pour transmettre.
Fondamentalement, les jeunes professeurs d’aujourd’hui sont toujours formés dans le cadre des IUFM – désormais rattachés aux universités – où officient des enseignants qui sont avant tout des spécialistes de la pédagogie et qui n’ont jamais mis les pieds, ou il y a très longtemps de cela, dans une salle de classe. Ce sont des « pédagogues en chambre » qui dispensent peu de cours réellement utiles aux professeurs débutants.
Ainsi sur le fond, l’idée de Vincent Peillon de recourir à ces hommes et femmes d’expérience me paraît excellente : je l’interprète comme une sorte de reconnaissance implicite du fait qu’enseigner est un artisanat (dans lequel l’expérience est décisive) bien plus qu’une science susceptible d’être apprise auprès de théoriciens de la pédagogie.
Mais il subsiste un problème pratique pour mettre en œuvre cette bonne idée du ministre. Il faut pouvoir identifier les «bons » professeurs, ceux qui sont effectivement capables de transmettre un savoir-faire et des bonnes pratiques à de jeunes instituteurs. Et là, on se retrouve face à une difficulté structurelle de l’Éducation nationale. C’est que de par sa taille et son mode de fonctionnement, l’Éducation nationale est incapable de repérer ses excellents éléments.
Elle ne peut pas dire quels professeurs sont reconnus par les parents, par leurs collègues et par la profession comme excellents. Elle enregistre tout, produit force statistiques, mais elle ne mesure jamais la qualité du travail accompli par ses agents et sa reconnaissance par les principaux bénéficiaires de ce travail : les enfants et leurs parents.
Lorsqu’on voit qu’un Marc Le Bris, dont la compétence pédagogique était fêtée dans toute la Bretagne, n’a pas été reconnu par l’Éducation nationale, qu’on ne lui a pas confié la formation des jeunes instituteurs, on se dit que la République ne sait pas honorer ses saints et que cela lui coûte cher.
Ne peut-on craindre que même des professeurs non compétents n’acceptent cette mission tout simplement appâtés par la rémunération ?
De toute façon, on ne pourra pas se passer du renfort des professeurs retraités pour faire du tutorat ou même des remplacements. Au moins à titre transitoire, pour un minimum de 5 ans. En effet, la perte de considération pour la profession d’enseignant (les termes d’enseignant ou de prof’, tellement moins nobles que ceux d’instituteur ou de professeur, témoignent déjà à eux seuls de cette déchéance sociale) a conduit à un effondrement du nombre et de la qualité moyenne des candidatures aux concours de recrutement des professeurs de sorte que l’Éducation nationale est contrainte depuis quelques années à recruter de jeunes professeurs qui ne sont pas au niveau.
Oui, c’est triste et pénible à reconnaître : on trouve de plus en plus de jeunes professeurs qui ont un niveau académique et culturel manifestement insuffisant pour s’acquitter honorablement de leur mission. Ce n’est bien sûr pas le cas de tous, mais ce qui est significatif, c’est que le fait d’être titulaire, d’avoir réussi le concours, n’est plus un gage en soi de qualité académique. Il faut donc réagir face à ce fait, pour le bien des enfants.
Les conséquences de cette situation sont déjà observables. Il y a un nombre incroyable de professeurs qui font des fautes d’orthographe et dont la grammaire est plus qu’approximative. Il est donc plus sain de recruter d’anciens professeurs tout en se donnant la peine de réformer en profondeur la formation des maîtres, car le recours aux enseignants à la retraite ne peut qu’être provisoire. Il doit durer le temps d’avoir une génération de professeurs bien formés et considérés.
Ce sont ces considérations qui ont conduit la Fondation pour l’école à créer dès 2007 un Institut Libre de formation des Maîtres, destiné à former solidement les maîtres des écoles privées indépendantes. Nous avons délibérément misé sur la génération d’instituteurs à la retraite ou quasiment à la retraite pour prendre en charge la formation pratique et didactique de nos instituteurs stagiaires. Nous avons mis aussi l’accent sur la formation de terrain, en multipliant les stages et en accordant une grande attention au choix de tuteurs expérimentés et très motivés. A noter que tous nos tuteurs et maîtres de stage sont volontaires et bénévoles dans leur mission de formation. Ils passent avec générosité et exigence le flambeau aux nouvelles générations.
Peut-on utiliser les rapports des inspecteurs afin d’avoir une idée de la qualité des professeurs qui se présenteront pour accomplir ces missions ?
Hélas non, ou alors à rebours ! Plus sérieusement, les inspecteurs ont trop souvent une approche assez politique de leur fonction. Ils sanctionnent les professeurs qui ne suivent pas « la ligne » de la rue de Grenelle. Ils ne s’intéressent pas aux résultats atteints par les élèves. On l’a constaté maintes fois au sujet des méthodes de lecture par exemple.
Des professeurs dont les élèves lisaient parfaitement grâce à une méthode syllabique ont été sanctionnés alors que d’autres qui, par des méthodes mixtes, mettaient en échec un nombre important d’enfants se voyaient bien mieux notés. Les inspecteurs en France sont trop souvent, même s’il y a des exceptions, des censeurs plus que des conseillers, des propagateurs de bonnes pratiques et des découvreurs de talents.
Il faut demander aux parents, aux enfants, au directeur, regarder le résultat des élèves dans l’absolu et en progression, consulter les cahiers des élèves pour identifier les bons professeurs. Tout le monde sait dans l’établissement qui est bon et qui est mauvais ; ce n’est qu’un secret de polichinelle. Mais le jour où la notation et la carrière des professeurs prendront en compte la satisfaction des parents est certainement encore loin, tant la culture de la « qualité orientée client » est absente de la mentalité de l’Éducation nationale et tant cette dernière a l’habitude d’impliquer le moins possible les parents dans ses décisions.
La solution des professeurs retraités est peut-être une issue efficace, mais pourquoi ne pas définitivement réformer l’IUFM ?
Recruter des professeurs retraités n’est bien sûr qu’une mesure temporaire, pour se donner le temps de réformer la formation des maîtres. Il est clair que la refonte complète de cette formation ne peut plus être repoussée davantage. C’est une priorité nationale majeure ! Il faut bien sûr aussi réformer les CFP, leurs équivalents privés qui souffrent des mêmes lacunes scandaleuses. Il est notamment urgent de revenir à l’idée d’une formation pluridisciplinaire sérieuse dans chaque matière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
On ne peut pas s’en tenir à enseigner la didactique des matières. On doit vérifier que les futurs professeurs en ont une vraie maîtrise. C’est ce que nous faisons à l’ILFM. Nous prenons le temps d’enseigner à nos élèves instituteurs, qui sont pourtant titulaires d’un diplôme L3 en entrant dans la formation, l’orthographe, la grammaire, l’histoire… Nous enseignons bien sûr aussi la didactique de chaque matière à travers des travaux dirigés et de nombreux stages, car il ne suffit pas de savoir, il faut aussi savoir transmettre. Nous mettons l’accent aussi sur la prévention et le repérage des troubles du langage et des apprentissages, grâce à des interventions de médecins neuropédiatres, d’orthophonistes et de psychologues.
Nous consacrons par exemple beaucoup de temps à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, si fondamental pour tous les autres apprentissages. Nous avons vraiment du mal à comprendre que les IUFM et les CFP n’y consacrent aujourd’hui que quelques maigres heures, sans y enseigner les méthodes syllabiques !
Propos recueillis par Priscilla Romain et parus le 1er juin 2012.