Non mixité, la fin d’un tabou

Sur 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, 100 000 sont des garçons.

La Fondation pour l’école demande aux établissements scolaires qu’elle aide de « justifier d’une véritable réflexion sur la question de la mixité, en privilégiant un enseignement non mixte au niveau du collège » (point 6 de la Charte des écoles de la Fondation). De plus en plus nombreuses sont les études qui montrent que notre exigence est probablement visionnaire car « l’échec scolaire a aujourd’hui un sexe, c’est le sexe masculin ».

« Le modèle scolaire actuel est, par ses caractéristiques, plus adapté aux filles. L’école est sans aucun doute un des seuls lieux où le genre masculin est une particularité disqualifiante » écrit Jean-Louis Auduc, dans son livre « Sauvons les garçons ! ». C’est vrai dès l’école primaire qui valorise les qualités d’ordre, de soin, d’application, de calme, qualités traditionnellement plus féminines que masculines. Résultat ? Les filles lisent plus vite et mieux durant leur scolarité, redoublent beaucoup moins que les garçons, échouent moins dans l’obtention de qualifications, ont plus de mentions à tous les examens et diplômes, du second degré comme du supérieur.

Il résulte de ce constat un manque de motivation clair, aggravé encore par des facteurs sociologiques.

La déstabilisation de la structure familiale traditionnelle constitue un facteur d’explication des difficultés des garçons. Il n’y a pas que la monoparentalité féminine qui peut poser problème aux garçons. Dans les familles décomposées ou recomposées, la femme apparaît le plus souvent comme le seul pivot permanent autour duquel la composition familiale évolue au fil du temps. « Un tel positionnement de la mère en tant que pivot ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur l’image que se fait de lui-même le garçon à l’âge de la puberté et des questionnements sur son devenir. » (Auduc)

En dehors de la famille aussi, les élèves évoluent dans un univers dominé par les femmes, constate Auduc : professeurs (80% de femmes dans le premier degré; 57% de femmes dans le second degré, BTS et classes prépa inclus), chefs d’établissements, assistantes sociales, infirmières, médecins généralistes, voire juges. C’est encore plus marqué dans les quartiers défavorisés. Comme le dit avec provocation Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien et éducateur de rue, « pour qu’un garçon de ZEP rencontre enfin un homme, il faut qu’il aille en prison ! » Dans ce contexte, les garçons peinent à trouver, dans l’enceinte scolaire, des modèles masculins auxquels s’identifier.

Si la mixité ne va pas de soi d’un point de vue pédagogique, elle n’est pas non plus incontestable d’un point de vue politique. C’est plutôt une décision politique qui s’est imposée sans avoir été véritablement pensée : « Pendant trente ans, on a vécu avec l’idée que la mixité réglait en soi les questions d’égalité ». Dominique Schnapper[1] va plus loin : «Ne faisons pas de la mixité un absolu. Historiquement, la cohabitation scolaire des filles et des garçons n’est pas du tout un principe républicain. Le principal argument de ses partisans consiste à dire que l’école doit mélanger filles et garçons, parce que la société elle-même est composée de femmes et d’hommes. Mais, dans la conception de la République, l’espace public ne représente pas la société civile, inégale par essence. Au contraire, il se bâtit en opposition à elle. L’école doit donc être un lieu protégé, et transcender la société par son aspect impersonnel et formel. En cela, la mixité marque donc plutôt un affaiblissement de l’idée républicaine. Dans les années 1960, elle avait pour objectif idéologique de lutter contre les inégalités entre les sexes, tout comme le collège unique, instauré à la même époque, avait pour objectif de lutter contre les inégalités sociales. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il ne suffit pas de mélanger garçons et filles pour résoudre les problèmes relationnels entre les deux sexes. ».

Les établissements mettant en place une pédagogie différenciée selon le sexe pour certains apprentissages font donc un choix qui ne manque pas de rationalité. Pour les Sciences de la Vie et de la Terre bien sûr mais aussi, comme le recommande Auduc, pour le français, particulièrement en 4e, lorsque la différence de maturité entre filles et garçons est la plus importante et la crise d’identité masculine est la plus présente. On peut aussi aller au bout de cette logique et séparer les sexes pour les enseigner séparément dans toutes les matières, sur toute la durée du collège. Cette option aide les adolescents à se concentrer sur leurs études. En France, ce sont surtout les collèges libres (hors contrat) qui opèrent ce choix pédagogique, ainsi que quelques établissements sous contrat. Ainsi, le collège Charles Péguy, situé à Paris XIe, n’instruit-il que les filles alors qu’il est mixte au primaire et au lycée. « Les filles y gagnent en liberté, puisqu’elles n’ont pas à vérifier qu’elles sont acceptées par les garçons. Enfin, je considère qu’on a mieux à faire, entre 11 et 15 ans, que de s’investir dans une vie amoureuse. Au final, le climat est plus serein, plus propice au travail et à l’amitié », explique Dominique Paillard, la directrice de ce centre Madeleine-Daniélou[2].

Lionel Devic, président de la Fondation pour l’école

Article paru dans « Les Chroniques de la Fondation » – juillet 2010

Illustrations : Jean-Louis AUDRUC, “Sauvons les garçons !” , Descartes & Cie


[1]  Extrait d’un entretien publié le 28/08/2003, dans L’Express ; D. Schnapper est membre du Conseil constitutionnel et directeur de recherche à l’école des hautes études en sciences sociales.

[2]  Interview- La Croix- 27/01/2010.