Le blog du monde intitulé « Les décodeurs » publie une étude passionnante sur les choix des noms donnés aux établissements publics comme privés. Des choix qui en disent long sur notre perception du roman national, où Jules Ferry arrive en tête pour le public et saint Joseph pour le privé.
La carte ci-dessous affiche l’ensemble des établissements français. Utilisez les filtres et le moteur de recherche pour visualiser un nom ou un mot :
1. Ferry, Prévert et Moulin, héros de la République scolaire
Promoteur de l’école publique, gratuite, laïque, Jules Ferry est l’homme le plus célébré au fronton des établissements publics français. Pas moins de 642 écoles, collèges et lycées lui ont donné son nom. Il surpasse Jacques Prévert, Jean Moulin, Jean Jaurès, Antoine de Saint-Exupéry, Victor Hugo, Louis Pasteur ou Marie Curie et son époux Pierre Curie, dans un palmarès dominé par les hommes.
1. Saint Joseph
2. Jules Ferry
3. Notre Dame
4. Jacques Prévert
5. Jean Moulin
6. Jean Jaurès
7. Jeanne d’Arc
8. Antoine de Saint-Exupéry
9. Sainte Marie
10. Victor Hugo
11. Louis Pasteur
12. Marie Curie
13. Pierre Curie
14. Jean de la Fontaine
15. Paul Langevin
16. Sacré coeur
17. Centre
18. R.P.I.
19. Irène Joliot-Curie
20. Frédéric Joliot-Curie
21. Jean Macé
22. Marcel Pagnol
23. Jules Verne
24. Sainte Thérèse
25. Sainte Anne
26. Louise Michel
27. Paul Bert
28. Le Bourg
29. Anatole France
30. Albert Camus
Mais cette perception globale masque des différences nettes selon les niveaux d’enseignement. Ce qui est assez logique : les écoles primaires ont, pour beaucoup, été construites dans la première vague de massification de l’éducation nationale, après le vote des lois rendant l’école libre et obligatoire.
Le palmarès des écoles publiques célèbre les héros de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe. Jules Ferry est mort en 1893, Jean Jaurès en 1914, Antoine de Saint-Exupéry en 1944, Jean Moulin en 1943, Victor Hugo en 1885, Louis Pasteur en 1895, Pierre Curie en 1906 et Marie Curie en 1934. Les deux exceptions, parmi les plus célébrés, sont Jean de la Fontaine, mort en 1695, et Jacques Prévert, mort en 1977.
Les 8 286 collèges français sont le résultat du baby-boom et de la massification de l’enseignement, en particulier à partir des années 1960. Il a alors fallu construire des collèges par centaines – « un par jour ouvrable » pendant dix ans, comme le raconte l’historien de l’éducation Antoine Prost –. Les noms choisis pour les collèges témoignent de ce contexte. Jean Moulin est entré au Panthéon en 1964, 98 collèges portent son nom, soit le personnage historique le plus célébré dans les collèges. Outre Jules Ferry et Antoine de Saint-Exupéry, apparaissent ainsi Jean Rostand (mort en 1977) et Albert Camus (1960).
Les plus vieux lycées remontent à la période napoléonienne. Mais la majorité des établissements ont été construits dans les années 1970 et 1980 pour absorber la poussée démographique dans l’enseignement secondaire, notamment depuis l’instauration, par la loi, d’un objectif de 80 % d’une génération parvenant au niveau du baccalauréat. Pour les seuls lycées, le couple Pierre et Marie Curie (respectivement 26 et 28 lycées) traduit probablement la volonté de placer les lycées sous l’horizon de la science. Au milieu des « classiques » (Léonard de Vinci, Blaise Pascal…) se retrouve l’un des pères fondateurs de l’Europe, Jean Monnet, mort en 1979, et honoré par 32 lycées.
2. Le cas particulier de l’enseignement privé
Les établissements privés sous contrat en France trustent le haut de la liste du « palmarès » des noms d’établissements les plus courants. Car ils font preuve de moins d’originalité : les saints et les « Notre-Dame » donnent leur nom à plus de la moitié des établissements privés.
Les noms des établissements privés
« Saint(e) »
« Notre Dame » et « Saint(e) »
« Notre Dame »
Autres
« Saint-Joseph » est gravé au fronton de 874 établissements privés, principalement dans la péninsule bretonne, signe de l’enracinement de l’enseignement catholique dans le Grand Ouest. Avec quatre établissements supplémentaires dans le public, le saint patron des travailleurs est le plus célébré dans les établissements français, tous statuts confondus. Il faut remonter à la 13e place pour trouver la première laïque, avec la marquise de Sévigné (76 établissements), suivie par Charles Péguy (54e, 15).
> « Saint Joseph » : le nom préféré des écoles privées
3. Les rois oubliés, la République célébrée
Si la marque laissée dans l’histoire se lisait dans les frontons des écoles, Jules Ferry le disputerait au général de Gaulle et à Napoléon dans les manuels d’écoliers. L’inventeur de l’instruction primaire obligatoire, président du conseil à deux reprises entre 1880 et 1885, est le dirigeant français le plus célébré (642 fois), loin devant tous les autres chefs d’Etat et de gouvernement.
Bien que logique, la surreprésentation de la IIIe République par rapport aux autres régimes de l’histoire de France est remarquable, avec 29 personnalités honorées dans 1 108 établissements. A l’inverse, l’école française se montre timide avec son histoire pré-républicaine, puisque qu’elle ne rend hommage qu’à sept de ses rois. Enfin, l’accroissement du pouvoir des présidents de la République sous la Ve République est allé de pair avec leur célébration par la sémantique scolaire, le général de Gaulle se plaçant en tête des chefs d’Etat de l’histoire française.
> Plus de présidents que de rois au fronton des écoles françaises
4. L’hommage aux pédagogues
Considéré comme un des pères de l’école gratuite, fondateur de la Ligue de l’enseignement, Jean Macé fut enseignant, écrivain… et franc-maçon : 235 établissements portent son nom. On retrouve ensuite, dans le domaine de la pédagogie, Paul Bert, qui fut ministre de l’instruction publique (180 établissements), Pauline Kergomard, considérée comme l’inventrice de l’école maternelle à la fin du XIXe siècle (113), Ferdinand Buisson, pédagogue, fondateur de la Ligue des droits de l’homme, président de la Ligue de l’enseignement (106). Quelque 126 établissements portent le nom de Jean Zay, ministre de l’éducation du front populaire, figure mythique de la gauche, assassiné par la milice en 1944.
Quant au physicien Paul Langevin et au médecin philosophe Henri Wallon, qui laissèrent leur nom au plan Langevin-Wallon de réforme du système éducatif à la Libération, ils apparaissent sur le podium des « couples » les plus célébrés, dominé par les scientifiques et les saints.
Les « couples » les plus célébrés
32621238201098Pierre & Marie CurieIrène & Frédéric Joliot-CuriePaul Langevin & Henri WallonNotre Dame & Saint JosephSaint Pierre & Saint PaulSaint Jean-Baptiste de La Salle& Saint JosephKatia & Maurice Krafft0 100 200 300 400
5. De rares héros contemporains
Françoise Dolto, pionnière de la psychanalyse pour enfants, est la plus célébrée parmi les figures contemporaines non politiques (167 établissements). Georges Brassens aurait-il pu imaginer que son nom apparaîtrait au fronton de 149 établissements, largement devant Jacques Brel (71) ? Le mérite du chansonnier, outre son talent, est aussi d’être mort à une époque (1981) où se construisaient des établissements scolaires par dizaines tous les ans. D’autres personnalités contemporaines sont célébrées dans un nombre significatif d’écoles, de collèges et de lycées : Lucie Aubrac (103), Jacques-Yves Cousteau (63), Eric Tabarly (25), Nelson Mandela (22), Georges Charpak (15), Coluche (10), Simone Veil (11), Jean-Paul II (11) ou encore Niki de Saint Phalle (4).
Fait rarissime : certaines personnalités voient de leur vivant leur nom offert à un établissement : c’est le cas des auteurs-compositeurs Pierre Perret (19), Henri Dès (15) et Yves Duteil (12), ou encore de l’explorateur cathodique Yann Arthus-Bertrand (6).
Qui choisit le nom des écoles ?
Le code de l’éducation prévoit que « la dénomination ou le changement de dénomination des établissements publics locaux d’enseignement est de la compétence de la collectivité territoriale de rattachement », soit la commune pour les écoles, le département pour les collèges et les régions pour les lycées.
La loi précise que dans le cas des lycées, « la collectivité recueille l’avis du maire de la commune d’implantation et du conseil d’administration de l’établissement ». Une circulaire de 1988 précise qu’il est traditionnellement admis que les témoignages officiels de reconnaissance doivent être réservés aux personnalités qui se sont illustrées par des services exceptionnels rendus à la nation ou à l’humanité, ou par leur contribution éminente au développement des sciences, des arts ou des lettres ». Le texte précise que les noms doivent être des « exemples » qui revêtent une « valeur éducative » pour « les jeunes générations présentes et futures ».
S’il est « d’usage que les choix arrêtés en matière d’hommages publics ne concernent en principe que des personnalités décédées depuis au moins cinq ans », les exceptions existent, comme l’école Paule Constant de Gan, baptisée en l’honneur de l’écrivain, qui est originaire de ce village des Pyrénées-Atlantiques.
6. Femmes et étrangers oubliés
Jeanne d’Arc est la femme la plus célébrée (423 établissements)… mais par l’enseignement privé. L’école publique ne laisse qu’une place dérisoire aux grandes femmes de l’histoire. Une dizaine de femmes seulement parmi les cinquante noms les plus donnés : derrière Marie Curie (360), Irène Joliot-Curie (254) ou Louise Michel (190), on trouve Françoise Dolto (167), Pauline Kergomard (113) ou Lucie Aubrac (103).
Même chose pour les grandes personnalités étrangères ; 95 établissements portent le nom d’Anne Franck, 78 celui de Pablo Picasso. Léonard de Vinci a donné son nom à 94 établissements, dont pas moins de 36 lycées. On compte toujours 21 établissements Martin Luther King, 17 Rosa Parks, 11 J. F. Kennedy, 9 Youri Gararine, 4 Karl Marx et 1 Winston Churchill. Willy Brandt (2) est le seul chancelier allemand célébré dans les écoles françaises.
7. Le XIXe maître des lettres
Antoine de Saint Exupéry est le seul auteur célébré par son nom (418 écoles) et par son œuvre, en l’occurrence Le Petit Prince (98 établissements). Mais le héros littéraire incontestable des écoles primaires est le poète Jacques Prévert, avec 472 établissements à son nom.
Comme sur le plan politique, le XIXe siècle est bien mieux représenté que les périodes précédentes de l’histoire intellectuelle française : les Daudet, Hugo et Verne arrivent loin devant les Lumières Voltaire ou Rousseau, ou les écrivains du XVIIe, comme Racine et Corneille.
> L’école française préfère Saint-Exupéry à Voltaire
8. Une géographie politique… et culturelle
La France compte 51 écoles Marcel Cachin, du nom de l’ancien directeur de L’Humanité, pilier du Front populaire, ancien parlementaire communiste. Sans surprise, la carte de l’implantation de ces écoles recouvre la carte des anciennes « banlieues rouges » longtemps tenues par le PC. Les écoles Jean-Jaurès l’emportent logiquement dans les bastions de gauche. Il reste toujours 6 écoles au nom de Maximilien Robespierre, principalement en banlieue parisienne.
La localisation des établissements Marcel Cachin en région parisienne :
Les établissements Marcel Cachin dans la région parisienne. Le Monde On doit pourtant la plupart des particularismes géographiques à des raisons culturelles. Ainsi, Frédéric Mistral et Paul Cézanne sont surtout célébrés en Provence (ainsi que dans la capitale). Marcel Pagnol échappe, lui, à cette règle, puisque l’auteur de la Trilogie marseillaise est célébré sur l’ensemble du territoire français.
9. La tentation de l’arbre
Le baptême d’un nouvel établissement scolaire est un geste politique. Certains élus choisissent une prudente neutralité. Et quoi de plus neutre que des arbres, des plantes ou des animaux ? Dans une hiérarchie bucolique difficilement explicable, les tilleuls sont les plus célébrés (12 établissements), devant les marronniers (49), les hirondelles (28), les charmilles (25), les bruyères (20), les lilas (19), les écureuils (19), les platanes (16), les coquelicots (12). En vrac, on trouve aussi capucines (13), arcs-en-ciel (78), lutins (28), clés des champs (25) ou encore… souris vertes (11).
Dans d’autres cas, la géographie l’emporte sur l’originalité : 134 écoles du village, plus de 280 écoles « du bourg », 370 « du centre ». Et plus de 140 dont le nom est simplement « école publique », probable marqueur des batailles passées autour de l’enseignement privé. Tendance moins poétique, mais révélatrice du lent mouvement de disparition des petites communes et de leurs écoles, plusieurs centaines de communes ont choisi d’appeler leurs établissements « école intercommunale » ou « rassemblement pédagogique intercommunal » (RPI). Près d’un millier d’écoles primaires portent cette dénomination.
Méthodologie
Pour procéder à cette étude, nous avons utilisé la dernière version du fichier des 67 201 établissements du premier et du second degré mise en ligne par le ministère de l’éducation nationale le 16 janvier 2015. Nous avons « nettoyé » le fichier pour supprimer le maximum de doublons (ex : « lycée J. Moulin » et « lycée Jean Moulin ») afin d’obtenir des palmarès fiables, et supprimé quelques enregistrements manquants. Quand des établissements rendaient hommage à plusieurs personnalités (« Pierre et Marie Curie », « Paul Langevin et Henri Wallon », nous les avons séparées pour obtenir un décompte plus fidèle à la réalité