[Tribune] Les Protestants pourraient préférer l’école publique à l’école évangélique hors contrat ?

Pourquoi les Protestants pourraient préférer l’école publique à l’école évangélique hors contrat ?

« L’école républicaine laïque, un chantier aussi porté par les protestants »

Plusieurs associations protestantes et de préservation du patrimoine (1) ont organisé, lundi 9 juillet à Dieulefit (Drôme), un colloque sur le thème « École et protestantisme ».

L’un de ses intervenants, l’historien Bernard Delpal (2), spécialiste du christianisme contemporain, revient sur le rôle joué par la minorité protestante dans la mise en place de l’enseignement laïque en France.

École du dimanche à la paroisse St-Pierre, église luthérienne évangelique, Paris. 

École du dimanche à la paroisse St-Pierre, église luthérienne évangelique, Paris. / Corinne SIMON/CIRIC

La Croix : Sur quoi portait ce colloque liant les thèmes de l’école et du protestantisme ?

Bernard Delpal : Avec de nombreux historiens et spécialistes, nous avons souhaité explorer les liens existants entre le protestantisme et l’école, aussi bien du temps de Calvin et Luther que de l’époque actuelle, marquée par le classement international Pisa, les évaluations, les réformes pédagogiques… La floraison des écoles nouvelles, en Europe au XIXe, XXe siècle comme aujourd’hui, a-t-elle un lien avec la culture, les personnalités, les traditions protestantes ? Le protestantisme a-t-il amorcé des réformes notables dans l’enseignement français ?

Nous nous sommes interrogés sur le rôle joué par la minorité protestante dans la mise en place de l’école républicaine, pour laquelle elle s’est aussi beaucoup investie. Par exemple, si la conscience collective a retenu que Jules Ferry a rendu l’enseignement public gratuit, obligatoire et laïque, elle sait peut-être moins que Ferdinand Buisson, [figure historique du protestantisme libéral et ancien président de la Ligue de l’enseignement de 1902 à 1906] peut aussi être considéré comme l’un des pères de l’école républicaine laïque.

Quelles sont les spécificités du modèle pédagogique protestant ?

B.D. : Dans un certain nombre de pays, le modèle pédagogique protestant est fondé sur « la méthode mutuelle », qui prône l’entraide entre les élèves et l’élimination de la compétition. Dans les établissements historiquement protestants – Berne, Neuchâtel, dans les Cévennes françaises… –, la première exigence pédagogique repose sur l’accès à la Bible : elle est à la fois un instrument d’alphabétisation, puisqu’on apprend à lire avec elle, mais aussi le point de départ d’une réflexion beaucoup plus profonde.

À la différence de la plupart des méthodes d’acquisition de la lecture au XIXe siècle, on s’assure, à chaque moment de son apprentissage, que l’enfant comprend ce qu’il lit et peut répondre à des questions. L’écolier est aussi appelé, dans le modèle pédagogique protestant, à exercer son rôle de témoin de la foi au quotidien.

En novembre 2016, l’Association des Établissements Protestants Évangéliques Francophones (AEPPF) faisait état de la présence d’une quarantaine d’établissements évangéliques en France, et annonçait l’ouverture d’une vingtaine d’autres dans les années à venir. Comment expliquer ce succès ?

B.D. : Cet essor suit peut-être simplement le mouvement de renouveau, à l’échelle planétaire, des Églises évangéliques, indépendantes des Églises nationales ou « historiques » protestantes. On pouvait déjà observer cela au début du XIXe siècle dans la région du Trièves, en Isère [où la communauté protestante est très implantée et où fut fondée l’école protestante du Mens, réputée pour la qualité de son instruction, NDLR] : les Églises considérées comme dissidentes à l’époque avaient-elles aussi développé leurs programmes scolaires, nourri leurs propres ambitions de rénovation pédagogique… Ce modèle éducatif a pu séduire de nombreux parents d’élèves de cette sensibilité, qui craignaient d’envoyer leur progéniture dans les écoles du dimanche du protestantisme établi.

Concernant le développement des écoles évangéliques en France aujourd’hui, il reste à relativiser, même si la multiplication de ces « écoles nouvelles », privées et hors-contrat, a pu peut-être inquiéter par endroits l’Église Réformée de France [devenue en 2013 l’Église Protestante Unie de France, NDLR]. Mais d’une manière générale, les protestants n’ont aucune raison de déserter l’école républicaine laïque : elle est aussi en partie leur construction !


(1) L’association Héloïse, Itinéraires des pédagogues européens, les associations Patrimoine-Mémoire-Histoire du Pays de Dieulefit, Sur les pas des Huguenots, ITEP de Beauvallon, les Amis du Musée du Trièves à Mens et la Société du Musée du Protestantisme dauphinois de Poet-Laval.

(2) Bernard Delpal est aussi chercheur associé au LARHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes)