Remettons l’évaluation au cœur du système éducatif !

FIGAROVOX/TRIBUNE-. Les auteurs, anciens recteurs d’académie, mettent en garde contre la pertinence des récents classements des lycées et regrettent la remise en question du système de notation.

Martine Daoust est professeur des Universités ; Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin

Tous les ans, à l’occasion de la publication du classement des lycées, et tous les trois ans, à l’occasion les résultats de l’enquête PISA, le monde de l’éducation s’émeut, s’étonne, se désespère ou se réjouit, c’est selon. Et puis le soufflé retombe. Les différents acteurs – parents, enseignants, élèves, chefs d’établissements – sont laissés seuls face à la gestion de ces données qui devraient pourtant être l’occasion de questionner l’efficacité et la performance réelle de notre système éducatif.

À l’ère des «big data», de la connectique, du numérique, au moment où l’effervescence de la coupe d’Europe de foot va permettre d’évaluer, de quantifier à la seconde près, la performance des joueurs, dans ces temps d’instantané où chacun affiche ses exploits sur les réseaux sociaux, le système éducatif se dérobe et développe une inertie résistante et coupable à l’évaluation. On n’évalue plus, on ne note plus, on ne regarde plus les chiffres, et si on les regarde, on ne les fait pas parler et on ne s’en sert point pour redresser la barre.

Comment ne pas s’étonner que ce soit la presse qui s’empare des classements alors que les chiffres ont été fournis par le Ministère de l’Éducation nationale lui-même? Comment comprendre qu’au cours de pondérations successives le seul indicateur qui ressorte soit la réussite au baccalauréat? Comment se satisfaire de l’indicateur «réussite au bac» sans tenir compte des mentions obtenues? L’excellence n’entrerait donc pas en ligne de compte? On nous dit que ces données sont plus qualitatives que quantitatives mais certaines facettes qualitatives sont soigneusement évacuées. D’où viennent ces valeurs arbitraires de réussite? Pourquoi une valeur ajoutée de -3 est-elle pire qu’une valeur ajoutée de -2? Quels sont les tests statistiques utilisés? Et enfin, si la prise en compte de l’environnement socio culturel économique d’un établissement doit devenir sa performance, pourquoi ne tient-on pas compte d’éléments internes à l’établissement?

Il nous semble en effet, et les études sociologiques des pays nordiques le montrent, que des facteurs internes à l’établissement doivent intervenir dans ces indicateurs de performance. Ainsi, la qualité de vie n’est-elle jamais mesurée…si tant est qu’elle soit abordée… L’objet du lycée est-il uniquement de faire réussir au bac ou de participer à la construction individuelle?

Le pourcentage de réussite au baccalauréat se calcule par rapport aux élèves qui se sont présentés. Y aurait-il des perdus de vue entre les inscrits et les présents ? C’est cette population justement qui devrait attirer l’attention.

La méthodologie utilisée est pour le moins surprenante: ainsi le pourcentage de réussite au baccalauréat se calcule par rapport aux élèves qui se sont présentés. Y aurait-il des perdus de vue entre les inscrits et les présents? C’est cette population justement qui devrait attirer l’attention. Existe-t-il des établissements pour lesquels le nombre de perdus de vue est important? Et surtout, si certains quittent le système avant de se présenter aux épreuves du baccalauréat que deviennent-ils? Quant à la fluidité des parcours, qui n’est comptabilisée qu’en termes de temps passé dans l’établissement de la seconde à la terminale, la non prise en compte du taux de redoublement est un vrai biais méthodologique. Pourquoi dans certains établissements met-on plus de temps pour arriver à la terminale?

Bref, l’esquive des questions qui reflètent la «vraie vie» d’un établissement ne permet pas une représentation réelle. Cela doit nous interroger car que ne veut-on pas voir, au juste?

Doit-on se satisfaire, pour accompagner les établissements, d’une visite de 71 établissements par l’inspection générale, ce qui représente, pour 4500 lycées, un taux de visite de 1,57%. Avouons que l’échantillon n’est pas représentatif pour en tirer des conclusions significatives et mesurables!

Seulement voilà, notre système éducatif, de la maternelle à l’Université, est en train de renier l’évaluation. Le tout, sous l’impulsion coupable d’une Ministre de l’Éducation nationale qui préfère la communication à l’action.

Dans le premier degré, les évaluations individuelles d’envergure nationale ont pratiquement disparu pour cause de stigmatisation. Pourtant, elles permettaient, au regard des résultats, de mettre en place, des stratégies de remédiation individuelle pour les élèves en difficulté, et ce, le plus précocement possible dans l’année scolaire. Beaucoup se joue à ce moment critique, nous ne pouvons l’ignorer plus longtemps.

Aujourd’hui, le système éducatif ne permet pas au jeune de valoriser le meilleur de lui-même, toute idée de compétition sociale étant bannie. Pourtant des études du système éducatif de Shanghai montrent que les élèves peuvent très bien réussir quelle que soit leur origine sociale.

Dans le second degré, la remise en question récurrente du système de notation brouille les pistes. Les repères normés sont des remparts pour les élèves. Faire croire que l’on peut s’en passer, c’est repousser à plus tard, ailleurs, la sélection et la compétition. D’ailleurs, une étude toute récente concernant le lien entre la notation et les origines sociales prône la suppression du système de notation mais se voit bien obligée de repasser par un système de notation pour réussir à mesurer.

Aujourd’hui, le système éducatif ne permet pas au jeune de valoriser le meilleur de lui-même, toute idée de compétition sociale étant bannie. Pourtant des études du système éducatif de Shanghai par exemple montrent précisément que les élèves peuvent très bien réussir et faire face à la compétition quelle que soit leur origine sociale dès lors que l’on crée les conditions de la réussite qui n’ont rien à voir avec le niveau de vie des parents ni des enfants. Le récent développement des Free-Schools britanniques va exactement dans le même sens: là où Londres était la ville qui avait les moins bonnes performances scolaires de tout le pays, grâce à une politique publique audacieuse et ambitieuse, c’est tout juste l’inverse aujourd’hui.

Tout cela pose plus que jamais la question du mode d’évaluation dans notre système éducatif français. L’Éducation nationale évalue elle-même sa performance et assure la diffusion des résultats. Alors, on nous dira que les corps d’inspection et la direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) du ministère de l’Éducation nationale ont une éthique professionnelle et savent travailler de manière indépendante. Mais hélas les faits sont têtus: ce sont les évaluations extérieures, comme celles de l’OCDE ou les rapports de la Cour des Comptes, qui mettent le mieux en perspective les difficultés réelles du système éducatif français. Ces données, on s’empresse de les oublier car elles ne sont pas produites par le système lui-même.

L’évaluation de la performance du système doit être conçue comme un instrument de pilotage et d’accompagnement des difficultés. Sans se voiler la face, en regardant les données, établissement par établissement, en prenant en compte de la qualité de vie, du souci d’orientation des élèves,… L’évaluation doit se concevoir comme un outil d’aide pour les établissements, les enseignants et les chefs d’établissements et pas comme un jugement. C’est par l’évaluation de la progression de chaque élève, que le système pourra évoluer vers la réussite individuelle de tous. Pour cela, il faut tout regarder, y compris ce qui fâche. Pour cela, remettons l’éducation au cœur de notre système éducatif.