Afin de déterminer précisément la qualité du travail fourni par les enseignants, l’idée est de le soumettre à une évaluation mieux organisée : quatre fois dans leur carrière, au lieu d’une inspection diligentée en moyenne tous les sept ans dans le dispositif actuel.
Rémunérer davantage les professeurs qui s’impliquent dans leur travail constitue à l’évidence un progrès par rapport à l’injustice actuelle, où les professeurs reçoivent une solde, indexée sur essentiellement sur l’ancienneté, et ce quelle que soit la qualité de leur travail. Même s’il y a différentes conceptions de la justice, il est clair que traiter de la même manière (même salaire) deux situations différentes (implication ou désinvolture dans le travail) est foncièrement injuste et contreproductif.
Pour autant, cette réforme comprend des vices de construction rédhibitoires.
En premier lieu – et c’est bien là un sujet qui fâche – quid des professeurs qui font mal leur travail ? Leur rémunération sera-t-elle réduite à la mesure des défauts constatés dans leur enseignement ? Envisage-t-on de les aider à quitter la salle de classe, et le cas échéant, à se reconvertir professionnellement ? Ce serait un grand soulagement pour les familles que de savoir qu’un mauvais professeur n’est jamais une fatalité, qu’il n’est jamais « indéboulonnable » quand son incompétence fait l’unanimité. Cela représenterait surtout une forte incitation pour les autres professeurs à donner leur pleine mesure.
Mais surtout, ce sont les critères d’évaluation du mérite des enseignants qui posent question. Comment jugera-t-on qu’un professeur est « engagé » dans sa pratique professionnelle ?
On peut craindre le pire : les professeurs syndiqués seront-ils présumés plus engagés ? Le taux d’absentéisme sera-t-il pris en compte ? Et si un enseignant a des pratiques pédagogiques qui n’ont pas l’heur de plaire à son inspecteur ou à la « salle des professeurs », ne risque-t-il pas de se voir qualifier d’ « insuffisamment engagé » ? Comment une telle rémunération au mérite peut-elle éviter de dériver en une subjective note à la tête du client ? Ne serait-ce pas plutôt leur aptitude à faire progresser les élèves et à les conduire vers un haut niveau académique qui devrait être le critère décisif ?
Si les progrès académiques de ses élèves semblent bien être le critère le plus évident de la performance d’un professeur, les modalités pour en juger de manière objective, elles, le sont moins. Les examens nationaux (brevet et baccalauréat) sont manifestement conçus pour ne plus être sélectifs, avec un étiage volontairement toujours plus bas. Les évaluations introduites par Luc Chatel en CE1 et CM2 ont été supprimées dès l’arrivée de la gauche au pouvoir sans être remplacées. Qui plus est, pour tous ces examens et évaluations nationales, les résultats des élèves par professeur et par écoles ne sont pas rendus publics. Il appert donc que l’Education nationale ne dispose d’aucun indicateur connu permettant de déceler les « bons professeurs », aussi incroyable que cela puisse paraître. Et les professeurs eux-mêmes sont privés d’outils de pilotage de leur travail. On ne leur permet pas de connaitre les résultats des élèves des autres professeurs, donc de repérer les professeurs ou pratiques pédagogiques les plus performants qui pourraient légitimement les inspirer.
Aujourd’hui tout repose sur la notation éminemment subjective des professeurs par les inspecteurs de l’Education nationale lesquels passent en moyenne une fois tous les 7 ans, ce qui ne permet pas de juger de la qualité du travail des professeurs. Cette inspection porte sur la conformité des méthodes pédagogiques aux préconisations ministérielles, et a priori pas sur le niveau des élèves des professeurs inspectés ou les progrès qu’ils ont réalisés grâce à lui.
La réforme conçue par Najat Vallaud-Belkacem accentue le problème. Les 820 000 enseignants seront désormais évalués au bout d’environ huit ans, 12 ans, 20 ans et 30 ans d’ancienneté. Il est très surprenant qu’il n’y ait pas des inspections lors des premières années, surtout si l’on considère que l’inspecteur est aussi un conseiller apte à améliorer la pratique professionnelle des enseignants qu’il visite. Il est aussi important de pouvoir écarter du métier au bout de 2-3 ans maximum ceux qui n’ont pas su faire leurs preuves. C’est un service à rendre aux élèves comme aux enseignants.
Dans le projet de réforme, l’inspecteur jugera de la qualité de l’enseignement en le confrontant à une grille qui devrait comprendre 11 critères variés, parmi lesquels « maîtriser les savoirs disciplinaires », ou « évaluer les progrès et des acquisitions des élèves. » Jusque là, tout est clair. Ce qui l’est moins, c’est ce qui est attendu par « accompagner les élèves dans leur parcours de formation », ou bien « adapter les modalités de sa communication en fonction de son auditoire en visant sa maîtrise et son développement », ou encore «l’engagement dans une démarche individuelle et collective du développement professionnel».
Ces critères sont particulièrement subjectifs et entacheront immanquablement le classement d’arbitraire. Ils sont trop nombreux et imprécis. Il eût été préférable de construire l’évaluation des professeurs sur un seul voire deux indicateurs. Le premier est la capacité du professeur à faire progresser ses élèves en un an, capacité qui se juge par la comparaison des résultats des élèves à un même test national de référence que l’on passe en début et en fin d’année. On peut aussi y ajouter éventuellement, à titre d’élément modérateur, un deuxième critère : « la satisfaction de l’usager » , qui s’obtient en faisant noter les professeurs par les parents d’élèves ou les élèves, au niveau du lycée. Ce processus est légitime car les parents sont les éducateurs premiers de leurs enfants. Il est temps de prendre en compte leur avis (quelle horrible idée !) dans la notation des professeurs.
Plus les critères de notation seront nombreux, subjectifs et éloignés des données brutes (pondérés par exemple au regard du niveau social des élèves et de leur environnement cognitif, comme c’est le cas dans le test PISA par exemple), plus l’évaluation sera critiquable et – chose plus grave – inutile pour les acteurs éducatifs eux-mêmes, que ce soit les directeurs, les professeurs ou les parents. Or la performance du système éducatif et plus largement l’Etat de droit véritable exigent que des informations objectives relatives à la qualité de l’école soient en accès libre à la disposition de tous les citoyens, ce qui se fait de manière commune dans nombre de pays étrangers. Les parents ont le devoir de choisir avec attention l’école de leurs enfants, et les pouvoirs publics, celui de leur donner l’information la plus claire pour qu’ils puissent le faire de manière rationnelle.
Si l’idée de départ est bonne (récompenser le travail bien fait et ainsi, dynamiser les carrières), les modalités choisies sont dangereusement défectueuses. La mise en place telle quelle de cette réforme conduira donc à discréditer le projet même de moduler la rémunération par rapport à la qualité de l’enseignement dispensé par le professeur. A l’instar de l’expérimentation des dérogations à la carte scolaire qui ont conduit à plus d’inégalités, et qui a donc conduit à discréditer le projet de la supprimer tout à fait.
Cette question de l’évaluation des professeurs soulève de surcroît un problème plus large, qui touche directement à la formation et à la carrière des professeurs : l’absence d’outils performants pour juger de la qualité du travail des enseignants obère toute possibilité de gratifier les meilleurs professeurs. En l’état actuel, l’Education nationale ne peux confier par exemple la formation des futurs professeurs aux meilleurs des professeurs en activité, vu qu’elle ignore quels ils sont. Il en va de même pour les postes d’inspection ou de direction d’établissement, qui n’échoient pas d’office aux meilleurs professeurs, mais à ceux qui répondent à des critères internes dépourvus de toute transparence. A l’heure où celle-ci tend à devenir la valeur clef de voûte du système public, le monde éducatif semble en être totalement exempté.
Une évaluation des professeurs intelligemment menée entraînerait avec elle une refonte du système de management interne de l’Education nationale : la priorité devrait être de donner des responsabilités supplémentaires aux meilleurs enseignants (dans la formation des professeurs ou la direction d’établissement), ce qui se traduirait pour eux par une meilleure rémunération, et non de donner plus d’argent à responsabilité inchangée.
La réforme de l’évaluation doit ainsi être mise au service de l’identification plus affutée des élites professorales, afin de leur confier davantage de responsabilités, pour le plus grand bénéfice du système.