Analyse clinique d’un cas de manipulation de l’intelligence des lycéens par l’Etat. Retour sur le sujet de SVT du bac blanc de 2012. Ce cas montre comment les dérives idéologiques de l’Etat sur le plan de l’éducation ont des conséquences directes sur le plan de l’instruction, à savoir la formation de la raison, la rigueur académique. Ici, pour réussir à prouver que la pilule du lendemain n’est pas abortive, le Ministère de l’Education nationale contraint les lycéens à raisonner à coups de syllogismes fallacieux et de définitions erronées. Un cas d’école de révisionnisme scientifique à méditer.
La partie Féminin/Masculin[1] des nouveaux programmes de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) des 1ere ES et L, on le sait depuis septembre 2011, est une tête de pont pour enseigner aux lycéens les présupposés de l’idéologie du genre puisqu’il est demandé explicitement au professeur de faire « la distinction entre identité sexuelle et orientation sexuelle ainsi que l’influence de la société dans ce domaine » (p. 5). Mais cette partie est aussi le moyen de présenter aux élèves une sexualité déconnectée de toute responsabilité.
Tirée directement du chapitre sur la « maîtrise de la reproduction », une étude de cas sur le mécanisme d’action de la contraception d’urgence ou pilule du lendemain est l’illustration concrète d’un détournement de la science au service de la propagande d’Etat visant à régenter la sexualité des adolescents. Donné en janvier 2014 à des élèves de première ES d’un lycée privé de la région parisienne, l’exercice est à vrai dire connu puisqu’il avait été déjà proposé par le Ministère de l’Education nationale en juin 2012 comme sujet blanc de baccalauréat[2]. L’objet de cette étude de documents notée sur huit points est d’expliquer « en quoi la prise de la pilule du lendemain ne peut pas être considérée comme une interruption volontaire de grossesse ».
Le texte sensé introduire la problématique est tiré d’un message laissé par une jeune fille sur un forum de discussion.
« J’ai dû prendre la pilule du lendemain il y a quelques semaines et je n’arrive pas à m’en remettre. Pour moi, la prendre, ça veut tout simplement dire que si bébé il y a eu, je me suis faite avorter. Mon compagnon ne comprend pas du tout mon opinion. Pour lui, c’est juste le rattrapage d’un accident ».
Tout l’exercice consiste à démonter les préjugés de cette jeune femme qui confond contraception et avortement et lui montrer en quoi elle a tort. Pour cela deux documents très orientés sont soumis à l’élève.
Le premier est un extrait de la notice d’utilisation du Norlevo, un des noms commerciaux de la pilule du lendemain : « La substance active est le lévonorgestrel (…). Cette contraception d’urgence doit être utilisée le plus tôt possible, de préférence dans les 12 heures et au plus tard dans les 72 heures (3 jours) après le rapport sexuel non protégé (…). Il ne fonctionne pas si vous êtes déjà enceinte ».
Le second est un graphique qui montre l’évolution de la concentration sanguine de l’hormone LH en fonction du temps, la première courbe avec un « pic de LH » étant celle d’une femme qui ne reçoit pas de lévonorgestrel, la seconde montre l’absence de pic de sécrétion de cette même hormone chez une femme qui prend la « contraception d’urgence » deux jours avant l’ovulation.
Il est alors demandé au lycéen de rédiger un message expliquant à l’internaute en quoi la prise de la pilule du lendemain ne peut pas être considérée comme un avortement.
L’exercice, en mêlant le faux et le vrai, est redoutable par la manipulation des faits et la présentation tronquée du fonctionnement de la pilule du lendemain qu’il implique. Pour satisfaire à la consigne biaisée de la question rédactionnelle, l’élève est en effet contraint de faire une réponse partiale s’il ne veut pas être sanctionné.
En effet, sachant grâce à son cours de SVT que le pic de l’hormone LH provoque l’ovulation (connaissance exigible du programme), le candidat doit en déduire que la suppression de ce pic par la prise de lévonorgestrel bloque l’ovulation et donc empêche la rencontre des cellules sexuelles. Il doit donc mettre en valeur le mécanisme anticonceptionnel du produit qui déjoue la fécondation et évite qu’un embryon soit conçu. La conclusion s’impose d’elle-même : le Norlevo n’est pas abortif et la jeune femme du forum de discussion fait erreur en se culpabilisant d’y avoir eu recours.
Or, ce type d’action n’est valide que si la pilule du lendemain est prise avant l’ovulation comme le précise d’ailleurs la légende sur le schéma proposé (administration du lévonorgestrel 2 jours avant l’ovulation). Si l’ovulation vient d’avoir lieu ou si elle est sur le point de se produire, les spermatozoïdes ne mettant que 50 à 80 minutes pour rejoindre le lieu de la fécondation, le produit ne pourra éviter que se rencontrent les gamètes féminin et masculin. C’est l’exemple typique de la jeune fille qui a une relation sexuelle un samedi soir et qui va chercher en pharmacie une boîte de Norlevo le lundi. Si l’ovulation a lieu entre temps, il y aura conception d’un embryon. Dans ce cas, la pilule du lendemain met en œuvre un second mécanisme, dit interceptif ou antinidatoire, qui va empêcher l’implantation de l’embryon conçu.
Selon sa définition classique, l’avortement est la destruction, quelle que soit la façon dont il est effectué, d’un être humain dans la phase initiale de son existence située entre la conception et la naissance. L’action antinidatoire de la pilule du lendemain n’est donc qu’un avortement précoce réalisé à travers des moyens chimiques. La jeune femme qui ingère la pilule du lendemain ne connaît pas le moment exact de son ovulation, elle ne saura donc jamais à quel moment du cycle elle se trouve et si elle a détruit ou non l’embryon qu’elle portait. Elle devra ainsi vivre avec cette incertitude pesante comme le montre le témoignage douloureux de l’internaute sur le forum de discussion.
L’élève qui dispose de ces connaissances scientifiques est donc obligé de donner raison à l’inquiétude de cette jeune fille contrairement à ce qu’on voudrait lui faire dire. Le caractère manipulateur de cet exercice est d’autant plus étonnant que dès la 4e, l’élève doit connaître les différents niveaux d’actions des « contraceptifs » – selon la terminologie officielle – que sont le dispositif intra-utérin ou stérilet, la pilule combinée, l’implant, le patch et la pilule du lendemain. Selon les nouveaux manuels de SVT de classe de 4e (programmes 2009) il est bien spécifié que toutes ces techniques, même la pilule classique, présentent une fonction antinidatoire sur l’embryon conçu (voir en particulier le livre du professeur, SVT 4e, Belin, p. 22). C’est également le cas dans les sections ES et L où par exemple le livre du maître demande au professeur de fournir à sa classe un tableau synthétique où il est expliqué que le lévonorgestrel est efficace avant l’ovulation ou avant la nidation (Livre du professeur, Sciences 1ere L, ES, Belin, 2011, p. 60).
On comprend donc que dans cet exercice, la propagande idéologique le dispute à la manipulation des faits scientifiques. Comment expliquer qu’un tel sujet ait pu voir le jour ?
La réponse se trouve dans la grille de correction fournie aux enseignants par le ministère de l’Education[3]. Le lycéen doit apporter deux éléments de connaissances notés sur 1 point pour pouvoir répondre à la consigne dans le sens qui lui est imposé. Premièrement que le pic de LH déclenche l’ovulation comme on l’a dit. Deuxièmement que « la grossesse correspond à l’implantation de l’embryon dans l’utérus ».
La déformation scientifique relève ici du révisionnisme tant la manipulation de la réalité biologique est considérable. Il est purement et simplement exigé de l’élève qu’il contredise l’objectivité des données embryologiques universelles qui faisaient jusqu’ici référence, en l’occurrence que la procréation humaine ou la reproduction animale démarre au moment de la fécondation. Le lycéen doit donc mettre en œuvre un syllogisme fallacieux pour répondre aux attentes du ministère. Il doit dans un premier temps avancer une nouvelle définition de la grossesse en précisant que son début ne coïncide plus avec la rencontre des gamètes mais avec l’implantation de l’embryon. Dans le second moment du raisonnement, il doit constater que la pilule du lendemain ne fait qu’empêcher l’ovulation ou la nidation d’un éventuel embryon conçu. Et finalement, il doit conclure que la contraception d’urgence (et toutes les autres techniques « contraceptives » comme l’implant, la pilule ou le stérilet) n’interrompent pas une grossesse débutante puisque l’existence de l’embryon humain qui ne s’est pas encore implanté est tout simplement niée.
L’épreuve scientifique, au lieu de mettre en valeur les connaissances et les capacités de réflexion de l’élève, devient le lieu d’imposition d’une approche idéologique qui s’oppose frontalement à la rigueur intellectuelle de l’étude du réel. Peut-on admettre que sous couvert de la science le ministère de l’Education (de la Rééducation ?) s’arroge une fois de plus le droit de manipuler les consciences de nos enfants ?
Pierre-Olivier Arduin, professeur de SVT