Espérance banlieues : «  Ce n’est pas  un choix contre l’école publique  »

Espérance banlieues : «  Ce n’est pas  un choix contre l’école publique  »

Au cours Charles-Péguy, à Sartrouville (Yvelines), les parents louent les faibles effectifs de cette école du réseau Espérance banlieues.
LE MONDE | 14.05.2018  | Par Mattea Battaglia

Au cours Charles-Péguy, à Sartrouville (Yvelines), le 7 mai 2018. Nicolas Krief / Divergence Image pour Le Monde

Que l’école qui accueille leurs enfants puisse relever du privé « hors contrat » ne les interpelle pas. Pas plus que la croissance relative de ce secteur – plus de cent établissements inaugurés cette année, souvent avec de très petits effectifs –, ou la querelle politico-médiatique qu’il attise entre défenseurs du service public et partisans du libre choix d’éducation. Non, ce qui prime pour Nicolas et Cécile, couple de quadragénaires installé à Houilles (Yvelines), avec leurs quatre enfants, c’est que leur fils de 9 ans « en décrochage dès le CE1 », racontent-ils, ait retrouvé au cours Charles-Péguy, l’une des écoles du réseau Espérance banlieues inaugurée il y a deux ans à Sartrouville (Yvelines), la « joie » de revenir en classe.

« Ce n’est pas un choix contre l’école publique, défend Nicolas, qui comme tous les parents rencontrés préfère ne donner que son prénom. Nos autres enfants y sont toujours scolarisés. Mais eux sont entrés dans le moule, quand notre fils, lui, ne pouvait manifestement pas. » « L’an dernier, son instituteur a vraiment fait tout ce qu’il pouvait pour prendre en charge son trouble de l’attention, poursuit Cécile, mais comment faire, avec plus de 30 élèves face à soi ? »

Quand il termine son CE1, Paul (son prénom a été modifié) n’a pas « le niveau », expliquent ses parents, mais on leur refuse un redoublement. « On redoutait de le voir s’enfoncer encore, reprend la mère. Lorsqu’on a dit à la directrice qu’on avait trouvé une petite structure pour lui, un lieu où il pourrait, grâce à des classes multiniveaux, recommencer son CE1 et évoluer en CE2 en cours d’année, elle nous a dit : Foncez ! »

Petite, l’école Péguy, installée à Sartrouville aux confins de deux quartiers prioritaires, Le Vieux Pays et la Cité des Indes, l’est sans conteste. Avec 37 élèves répartis dans quatre classes pour sa deuxième année scolaire, 6 élèves seulement à l’inauguration, en 2016, et 50 visés à la rentrée 2018, elle peut se permettre un « luxe » qui prime sur tout le reste, aux yeux des familles : des classes d’une quinzaine d’élèves, pas plus. C’est ce qui les a séduites, défendent-elles ce mardi 1er mai, à l’occasion d’une journée portes ouvertes, et la « proximité » que cela crée avec les éducateurs, plus que les méthodes dites « à l’ancienne », le vouvoiementl’uniforme ou encore la levée du drapeau qui ont fait la réputation de ce réseau d’établissements développé, depuis 2012, sous l’impulsion d’Eric Mestrallet. Un chef d’entreprise proche de la droite chrétienne – même s’il dit « se situer difficilement sur l’échiquier politique depuis 2002 » –, dont le carnet d’adresses a permis de lever des fonds parmi les grands noms du CAC 40.

Cours Péguy, cours Dumas, cours Charlemagne… Ces établissements sont onze aujourd’hui – et seize en septembre si les projets se concrétisent – à accueillir quelque 600 élèves au total. Une goutte d’eau, rapportée aux 12 millions d’élèves recensés sur le territoire. Des structures « toujours accueillies dans des villes de droite », murmurent leurs détracteurs, parents et enseignants de l’école publique. « Toujours là où il y a de la difficulté sociale et scolaire », préfère dire le maire LR de Sartrouville, Pierre Fond : « Avec 37 élèves au cours Péguy, sur un total de 5 700 écoliers dans ma commune, je ne vois pas où est la mise en concurrence public-privé ni cette privatisation rampante que d’aucuns dénoncent ! »

Sur les réseaux sociaux, par médias interposés, la polémique fait rage entre « pro » et « anti », nourrie de témoignages d’enseignants et d’anciens parents mettant en cause « l’idéologie » du réseau autant que son postulat de départ : celui d’une démission éducative dans les banlieues. Sur le terrain, en revanche, le dialogue semble quasi inexistant. La section sartrouvilloise de la fédération de parents FCPE fait valoir un « fonctionnement hermétique », quand le directeur du cours Péguy, Alban Reboul Salze, évoque, lui, des « invitations retoquées », des « cartes de visite renvoyées ». « Jamais dans le monde de l’entreprise je n’ai connu ça », assure cet ancien cadre chez Total, qui s’est mis en congé pour endosser cette « mission ».

Du cours Péguy, les équipes des écoles publiques environnantes parlent souvent avec inquiétude et toujours sous couvert d’anonymat. Certaines s’émeuvent de « programmes revisités ». D’autres interrogent les motivations des familles (« Ne veulent-elles pas juste éviter l’école de la cité ? ») ou la taille des classes (« Vrai choix pédagogique ou défaut d’inscriptions ? »). « J’ai vu deux de mes élèves partir au cours Péguy », témoigne un directeur, évoquant des « méthodes de recrutement sauvage au sortir de l’école ». L’un, dit-il, est revenu au bout de quelques semaines ; l’autre y est toujours. « Il bénéficiait, chez nous, d’un suivi adapté à ses difficultés scolaires. Qu’en est-il là-bas ? »

Pas de retour du rectorat de Versailles, que Le Monde a sollicité. Il a pourtant diligenté plusieurs inspections, assure M. Salze. Il faut se tourner vers la commune voisine de Mantes-la-Jolie (Yvelines), où a ouvert le cours La Boussole, lui aussi rattaché au réseau, pour entendre des professeurs prendre position en leur nom. « Pour moi, ce ne sont pas des écoles, et j’estime de ma responsabilité de le dire aux familles », explique Patricia Lartot, directrice depuis bientôt vingt ans, enseignante depuis trente-six ans, « toujours en ZEP », revendique-t-elle. « Est-ce qu’on inculque les valeurs de la République en faisant hisser le drapeau ? Est-ce qu’on offre une prise en charge alternative en tenant à distance les avancées de la recherche ?, interroge-t-elle. Je ne vois pas comment un discours passéiste peut constituer une réponse aux problèmes de l’école en banlieue. Ce réseau promet aux parents une alliance éducative, comme si on ne s’y attachait par ailleurs ! Le lien avec les familles, c’est 80 % de mon travail ! »

Une école « qui s’adapte à l’enfant »

Les parents du cours Péguy croisés ce 1er mai semblent vouloir tenir la polémique à distance. « Ces débats d’experts ne parlent pas de nous », dit l’un. « Ceux qui viennent nous faire la leçon ne vivent pas notre quotidien », avance un autre. Un quotidien de « harcèlement » que raconte Kemberly, mère de trois enfants, dont le fils aîné a été victime de brimades peu prises en compte dans son ancienne école. « A 7 ans, quand votre garçon prend 15 kilos en trois mois, on ne peut pas se taire… Mais à chaque fois, on me disait ce sont des histoires d’enfants… C’est pas parce qu’on habite la cité qu’on n’a pas le droit à mieux ! »

Fadoua, jeune maman d’une fillette arrivée en CE1 « sans savoir ni lire ni écrire », salue, elle, la manière dont « cette école sait s’adapter à l’enfant ». « Avant, on a vu des maîtres spécialisés, des psychologues, mais quand je disais que ma fille allait mal, l’école ne l’entendait pas. Ici, il n’y a pas de recette miracle, mais on lui donne du temps. »

« On a trouvé une attention à l’enfant qui va au-delà de l’enseignement, reprend Cécile, la maman de Paul, un projet éducatif dans lequel la France, dans sa diversité, est quelque chose qui compte. » « Les familles adhèrent à notre projet de faire société », rebondit le directeur, en s’enorgueillissant des treize nationalités présentes dans sa petite école. Certains enfants n’allaient jusqu’à présent qu’à l’école coranique et étaient instruits à la maison, assure-t-il : « Pour ces familles, la laïcité dans le public est mal vécue, elles la ressentent comme anti-musulmane. Ici, quand un enfant parle de sa religion, on ne le fait pas taire. »

Que les enseignants – à qui les élèves donnent du « maître Luc », « maître Guillaume », « maîtresse Valérie »… – ne soient que rarement passés par les concours de l’éducation nationale ne semble heurter personne. « Pour faire des suppléances dans le public ou le privé sous contrat, est-ce qu’on vous le demande toujours ? », interroge Anne-Laure, maman d’un garçon en CE2.

Du « niveau », du « raccrochage » promis avec le « cursus scolaire classique », question récurrente de la part des visiteurs durant ces portes ouvertes, Espérance banlieues ne peut, encore, rien attester. « On est en train de se doter d’un comité scientifique et d’indicateurs pour le mesurer », justifie Eric Mestrallet. Au cours Dumas de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), la seule structure du réseau à amener ses élèves jusqu’à la fin du collège, 7 à 8 enfants présentent, chaque année, le brevet. Les deux tiers l’obtiennent.

Le contexte

C’est sous les ors du Palais du Luxembourg, à Paris, que la Fondation pour l’école, promotrice des écoles privées hors contrat, devait réunir lundi 14 mai un colloque posant la question : « Ecole et égalité des chances : vers des solutions nouvelles ? » Parrain de l’événement, le sénateur LR (Haute-Savoie) Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au Sénat.

Cette année, 122 établissements hors contrat ont ouvert, selon le recensement tenu par la Fondation pour l’école, ce qui porte leur total à plus de 1 300 et le nombre d’élèves à 74 000 environ. La progression du rythme de création de ces structures (+ 32 % par an), libres de leurs programmes, de leur recrutement comme de leurs méthodes, est portée par les projets alternatifs (type Montessori) plutôt que par les projets confessionnels, souligne sa directrice, Anne Coffinier.

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