Comment est née Schola Nova ?
En 1995, Stéphane Feye décide de fonder sa propre école d’humanités gréco-latines. Pourtant, il est chef d’orchestre, pianiste et professeur d’Écriture musicale au Conservatoire Royal de Liège. Dans le privé, il est surtout passionné par ses traductions de traités latins, grecs et hébreux, qu’il publie régulièrement.
Sa fille aînée avait fréquenté l’enseignement catholique dit « rénové » ; les deux suivantes, la dernière école offrant encore un enseignement catholique dit « traditionnel », avec l’ancien programme gréco-latin (9 heures de latin en première secondaire). Les études des deux plus jeunes lui avaient donné satisfaction. Or cette école bruxelloise n’accueillait que des filles. Il fallait donc trouver une autre solution pour ses deux fils cadets, afin d’éviter des trajets et des embouteillages encore plus éreintants.
Il décida donc de fonder plutôt sa propre école, ce qui semblait non seulement très difficile, mais aussi totalement contraire à l’air du temps. Néanmoins, il put dès le début compter sur l’aide de deux amis, Hans van Kasteel (philologue classique et grand érudit) et Caroline Thuysbaert (étudiante en droit à l’époque).
L’article 24 de la Constitution belge garantit la liberté d’enseignement. Il est donc légalement permis d’ouvrir une école indépendante, appelée « école privée » (ne pas confondre cette appellation avec celle d’« école privée » en France, qui correspond à « école libre subventionnée » en Belgique). Le statut légal d’une école privée, selon les termes d’un décret de la Communauté française de Belgique, est celui de l’enseignement à domicile, qui implique soit de garder l’enfant physiquement au domicile parental, soit de le confier à une institution privée.
C’est ainsi que Stéphane Feye ouvrit sa première classe en septembre 1995, pour son fils Raphaël qui, pendant quelques semaines, fut le seul élève de toute l’école ! Peu à peu, cependant, quelques amis le rejoignirent…
Le but initial de cette école était donc de maintenir le programme classique gréco-latin, avec la grille horaire en vigueur quelques décennies plus tôt (9 heures de latin en première année secondaire, 7 heures de latin et 5 heures de grec en deuxième). Dans la suite, la grille horaire de Schola Nova a été adaptée quelque peu ; par exemple, davantage de mathématiques, des cours en langues étrangères (système d’immersion).
Comment se situe votre établissement dans le paysage scolaire belge ?
Très peu d’écoles sont privées en Belgique, ce qui signifie que nous sommes plutôt « originaux » et donc pas toujours bien compris. Au début, l’école a été souvent victime de nombreuses calomnies qui se sont peu à peu estompées ; aujourd’hui, elle est respectée voire admirée et jouit d’une excellente réputation.
Il faut savoir qu’en Belgique wallonne, il n’existe pas de système comparable au baccalauréat français qui mette tous les réseaux d’enseignement sur pied d’égalité. En Belgique, ce sont les écoles qui « fournissent » le diplôme à leurs élèves. Seuls les élèves qui ont le statut d’Enseignement à domicile (école privée par exemple) doivent se soumettre à un examen organisé par le ministère de la Communauté française (jury d’État) pour obtenir un diplôme ; ils ont aussi la possibilité de présenter des examens d’accès à l’Université. Le niveau de ces différents examens est assez élevé (bien plus élevé que celui d’une terminale dans une école officielle). Cette épreuve finale d’obtention du diplôme ou du certificat d’examen d’entrée explique que les parents, en Belgique, craignent souvent de quitter le système officiel. Les résultats des élèves de Schola Nova à ces examens (affichés sur notre site internet ) sont excellents, ces épreuves n’étant pas insurmontables pour un élève bien formé.
Nous aimons à préciser également que nous ne sommes pas des adorateurs du privé par principe. L’école a été fondée uniquement parce que l’enseignement officiel n’offrait plus le programme gréco-latin qui avait pourtant fait ses preuves pendant des décennies, voire des siècles.
Quelle est la mission que vous assignez à votre école ?
Les humanités classiques gréco-latines sont, à nos yeux, une voie privilégiée pour assurer cette formation de base. Nous espérons qu’en sortant des humanités, les élèves auront acquis un solide esprit d’analyse et de synthèse, un sens critique aigu (bien nécessaire de nos jours), une ouverture sur le monde et son histoire, une soif d’apprendre. Ces outils leur permettront de s’orienter dans les études de leur choix, qu’elles soient littéraires, scientifiques ou artistiques.
Vos élèves suivent entre neuf et douze heures de cours de langues anciennes par semaine. Comment s’organisent ces cours entre les cours traditionnels et le latin vivant ?
Même s’il est vrai que nous avons souhaité reprendre la grille horaire « ancienne », nous nous sommes vite aperçu qu’il était possible d’améliorer et de « dépoussiérer » les anciennes méthodes d’apprentissage. N’est-il pas absurde d’apprendre une langue, quelle qu’elle soit, sans la parler ? Serait-il facile à un non francophone de lire Paul Valéry s’il ne commençait pas par utiliser le langage courant ?
Cette constatation vaut également pour le latin et pour le grec (même si nous devons avouer que notre niveau en grec ancien parlé n’est pas encore excellent).
Au moment où l’école a été fondée, nous avons eu la chance de rencontrer des groupements de latin vivant (bien plus nombreux qu’on ne le pense, partout dans le monde ; il suffit pour s’en faire une idée de consulter internet), entre autres ceux de la Domus Latina dirigés par le Docteur et Madame Guy Licoppe en Belgique. Nous ne savions pas, avant cela, que le latin pouvait se parler…
Nous avons donc décidé d’apprendre à le parler, essentiellement avec la méthode Assimil (ancienne version, car la nouvelle est, de loin, moins bonne que la précédente), et par la participation à des séminaires entièrement organisés en latin.
En première année, nous répartissons ainsi les cours de latin : 9 heures en tout, 4 heures consacrées à la grammaire pure, et 5 heures consacrées à la langue parlée. Qui dit « latin vivant », ne dit bien sûr pas « à peu près ». Il est essentiel d’étudier les déclinaisons, les conjugaisons, les cas ; de faire des exercices de thème, de version, de précision.
Dans le cadre du latin vivant, les élèves apprennent à parler, à utiliser des phrases toutes faites (système du réflexe verbal), à réciter des leçons d’Assimil et à lire de nombreuses pages de livres totalement rédigés en latin.
Au fur et à mesure des années, la proportion du latin vivant diminue pour laisser de plus en plus de place à la lecture des auteurs de l’Antiquité, du Moyen Âge, de la Renaissance ou de l’Époque contemporaine. N’oublions pas que la littérature latine ne se limite pas à l’Antiquité : la quantité de livres en latin de l’Antiquité dite « classique » ne représente que 0,01 % de l’ensemble de la littérature latine ; qui le sait de nos jours ?
Le but principal est, outre la formation indéniable de l’esprit, la lecture des auteurs s’étant exprimés en latin : la méthode vivante permet d’y accéder plus facilement, plus rapidement et avec plus d’amusement. Il en résulte aussi souvent de nombreux contacts internationaux en latin (Russie, Mexique, Finlande, Italie, etc.)
En quoi enseigner les humanités classiques serait-il nécessaire à notre époque ? Les enfants seront-ils adaptés aux exigences contemporaines ?
Les arguments le plus souvent invoqués pour souligner l’importance de l’apprentissage des langues latine et grecque sont les suivants : on connaît ainsi mieux son analyse française, on élargit son vocabulaire, on améliore son orthographe, on précise sa pensée, on acquiert une pensée rigoureuse et structurée, on conjugue sans cesse analyse et synthèse, grammaire et intuition.
Tout cela est vrai… mais de nombreux autres arguments peuvent être avancés : les langues classiques permettent d’apprendre plus rapidement d’autres langues modernes (les langues romanes, les langues à déclinaisons, le grec moderne) ; c’est une excellente gymnastique de l’esprit ; c’est très amusant ; on accède ainsi à notre patrimoine culturel, à notre passé historique ; on fait un exercice d’altruisme très intéressant : arriver à se mettre dans la peau d’un homme ayant vécu à un autre siècle, dans un autre pays, habité par une autre mentalité (n’est-il pas plus facile ensuite de comprendre les autres en général ?) ; on accède à une littérature passionnante (les Anciens ont abordé la majorité des questions qui nous tracassent encore aujourd’hui ; souvent ils ont proposé des réponses qui pourraient nous aider), on peut lire les textes en version originale, ce qui est toujours plus prudent, selon l’adage « traduttore traditore » (nos bibliothèques sont composées de 85 % de livres en latin).
Les enfants seront-ils adaptés aux circonstances contemporaines ? Les choses bougent très vite aujourd’hui et surtout, les technologies évoluent à grande vitesse. Il semble donc plus important d’être formé et d’avoir une pensée bien structurée, capable de s’adapter à ces nouveautés, plutôt que d’avoir appris à en manier l’une ou l’autre ou d’être uniquement « informé » d’une réalité très mouvante. Nous ne nions pas, cependant, qu’après la formation, l’information tienne, elle aussi, une place importante, mais il faut noter que cette dernière est, par essence, toujours infinie.
De plus, un élève formé pourra sans difficulté étudier par lui-même d’éventuelles notions qu’il n’aurait pas reçues à l’école, pour s’adapter aux exigences modernes. Une bonne formation le rendra autonome pour la suite de ses études.
Quels manuels utilisez-vous ?
Il n’est pas toujours facile de trouver les manuels adaptés à nos attentes. À ce propos, nous estimons excellent que les élèves aient un manuel à leur disposition (pourvu qu’il soit bien fait), plutôt qu’un ensemble de feuilles volantes…
Voilà pourquoi la plupart des syllabi ont été réalisés par les professeurs et collaborateurs de l’école. Ils sont exposés à l’école et consultables par tous ceux qui le souhaitent.
Citons, parmi les plus importants :
– les cours d’histoire :
- l’histoire de l’Égypte, de la Grèce et de la Mésopotamie (première humanité)
- l’histoire de Rome (deuxième humanité)
- l’histoire du Moyen Âge (troisième humanité, entièrement rédigée en latin, car le cours se donne dans cette langue)
- l’histoire des Temps Modernes (quatrième humanité)
- le syllabus d’histoire de cinquième (Époque contemporaine) n’a pas été rédigé par Schola Nova.
– la grammaire latine
– la grammaire grecque (de très bonnes grammaires étaient éditées, mais ne le sont plus, faute d’acheteurs !), entièrement rédigée en latin
– un compendium mathématique (avec un résumé de la matière de base des humanités)
– un syllabus d’analyse, très structuré et comportant l’essentiel de ce que des humanistes doivent en savoir
Les autres manuels utilisés à l’école et disponibles dans le commerce sont :
– Assimil latin (édition ancienne de Clément Dessesart, avec le CD réalisé par les élèves de l’école)
– Lingua Latina per se illustrata (méthode danoise de Hans Orberg, ouvrage que nous recommandons plus que vivement ; c’est un livre de lecture où tout est écrit en latin avec un apprentissage progressif et simple ; il y a deux volumes)
– Athenaze (méthode italienne de Luigi Miraglia, même principe que la méthode ci-dessous mais pour le grec)
– livres de mathématiques : Actimath (édition belge)
D’autres manuels sont utilisés évidemment, au gré des décisions des professeurs…
Vous donnez aussi une grande importance aux langues vivantes. Qu’en est-il des enseignements scientifiques ?
Nous voulons garantir à nos élèves un niveau élevé en mathématiques avec 4 heures de mathématiques par semaine. Cela peut sembler peu, mais plusieurs élèves ayant terminé leurs études chez nous se sont lancés dans des voies scientifiques (médecine, biologie, géologie, études d’ingénieur…) et n’ont éprouvé aucune difficulté en mathématiques.
Dans les classes primaires et pendant les deux premières années d’humanités, les élèves ont un cours de sciences (biologie, chimie, réalisation d’un potager expérimental en primaires) basé essentiellement sur des expériences. À partir de la troisième jusqu’à la dernière année, le cours devient plus magistral, à raison de 2 à 3 heures par semaine. Nous ne prétendons pas voir un nombre de chapitres équivalent à ceux qui suivent une formation en « sciences fortes », mais nous garantissons que nos élèves auront la formation nécessaire et l’ouverture requise pour se lancer dans des études scientifiques s’ils le souhaitent.
Quelle est la place de la musique et de l’Art dans le projet pédagogique de votre école ?
La musique occupe une place très importante dans notre projet, mais de manière libre. L’école organise, dans sa splendide salle, de nombreux concerts de musique classique auxquels élèves et professeurs sont invités gratuitement. Ces concerts sont également ouverts à tous.
Il y a des cours individuels d’instrument (piano, violon, violoncelle, chant), des cours collectifs de solfège, d’harmonie, une chorale, et de nombreuses auditions où les enfants peuvent présenter l’œuvre qu’ils travaillent. De nombreux instruments de musique sont mis à la disposition des élèves. Des master classes sont également organisées (direction d’orchestre, piano, quatuor, etc.).
L’étude de la musique n’est pas obligatoire, mais si nous précisons que sur nos environ 50 élèves, plus de 15 jouent du piano, plus de 8 du violon et autant du violoncelle… on comprendra que l’émulation naturelle est bien plus efficace que l’obligation !
En plus des activités musicales, les élèves peuvent participer à un atelier artistique (peinture-sculpture), à des cours de théâtre, à des cercles de poésie, et à des concours d’éloquence.
Comment faites-vous pour que les coûts de scolarité soient adaptés aux capacités des familles ?
Nous ne recevons aucun subside d’aucune institution. Schola Nova demande un minerval de 375 euros par mois (10 mois sur l’année) aux parents inscrivant leur enfant. Les prix sont dégressifs en cas de famille nombreuse.
Nous n’avons jamais voulu que les capacités financières d’une famille déterminent l’inscription à l’école. Nous voulons rester accessibles à tous. Pour nous permettre de continuer à accueillir tout le monde, la Fondation « Humanitas Europae » propose un système de bourses pour les familles moins fortunées. Cette Fondation est financée par plusieurs mécènes et a pour but de promouvoir les langues anciennes.
À Schola Nova, personne n’a jamais été refusé pour des raisons financières…
Terminons en disant que nous pratiquons les « portes ouvertes permanentes ». Tout le monde, élève, parent, adulte, curieux, peut venir passer une journée (ou plus) dans nos bâtiments pour observer la réalité de ce qui s’y passe… Certains cours gratuits donnés par des bénévoles très compétents (hébreu, égyptien ancien, arabe, espagnol, italien) sont accessibles à tous, y compris aux adultes étrangers à l’établissement, selon la demande.
Quelle est la philosophie ou orientation religieuse de Schola Nova, s’il y en a une ?
Schola Nova, bien que fondée par une famille catholique, n’est ni catholique, ni anticatholique. La question de la foi et de sa pratique est laissée, avec beaucoup de respect, à chaque famille.
Il nous paraît, en revanche, essentiel que les élèves reçoivent un cours d’histoire des religions (une heure/semaine, en deuxième secondaire), ce qui leur facilite non seulement la compréhension de l’histoire, mais aussi l’adoption ou le rejet libres et réfléchis d’une religion ou d’une philosophie, quelle qu’elle soit.
Parmi les élèves ou leurs parents, il y a des catholiques, des protestants, des juifs, des agnostiques, des athées, etc. Cette diversité, considérée comme une richesse, n’a jusqu’à présent été la source d’aucun problème.
En cinquième secondaire, un cours d’histoire de la philosophie (des présocratiques aux philosophes contemporains) est donné à raison d’une heure/semaine.
Quant à la formation morale, elle se limite, à l’école, au respect de l’ordre public et des règles élémentaires de la politesse et de la décence, les parents étant, là aussi, considérés comme les seuls éducateurs.