La logique de fond qui préside à la lutte contre le séparatisme inspire des mesures inadaptées au défi éducatif français et à la question de l’islam radical.
Le discours d’Emmanuel Macron aux Mureaux vendredi 2 octobre dernier ne donne-t-il pas raison à Michel Houellebecq ? Interrogé début mai par France Inter sur ce que serait le monde d’après le confinement, l’auteur de Soumission avait répondu que « nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire ». Alors que le confinement a pu révéler aux familles les bienfaits de l’instruction à domicile pour certains enfants, le traitement par l’État de la question du développement de l’islam en France se traduit paradoxalement par l’annonce de nouvelles restrictions à la liberté de l’enseignement, et plus généralement, aux droits des parents, premiers éducateurs de leurs enfants (droits déjà écornés en 2019 par la loi Blanquer qui avait avancé à 3 ans — au lieu de 6 — l’âge de la scolarisation obligatoire).
Une logique trop jacobine
Ces restrictions annoncées consistent dans l’interdiction de principe de l’instruction en famille (IEF), d’une part, et dans le renforcement des contrôles sur les écoles libres (hors contrat) tant dans leur phase de création que pendant leur fonctionnement (modalités de financement et parcours des enseignants). Entendons-nous bien : il n’est pas question de contester l’intervention légitime de l’État en matière de sécurité publique et de maintien de la paix civile ; ni en matière scolaire lorsqu’il s’agit de déterminer un niveau d’instruction (cette intervention de l’État repose toutefois sur un projet de loi qui ne sera véritablement connu que le 9 décembre et dont l’adoption dépendra des discussions devant le Parlement). Mais il paraît nécessaire d’attirer l’attention sur la logique de fond qui semble être à l’œuvre, trop jacobine et certainement inadaptée au défi éducatif français et à la question de l’islam en ce domaine. Comme l’analyse bien Claude Lelièvre, spécialiste de l’histoire des politiques scolaires, « l’étonnante annonce d’Emmanuel Macron, […] rompt avec un principe observé depuis Jules Ferry [qui avait explicitement prévu la possibilité de l’instruction en famille] et que, s’agissant de la Révolution, elle se rapproche bien plus de Danton que de Condorcet ».
L’opportunité de l’instruction à domicile
Ces annonces peu rassurantes sont l’illustration de divers paradoxes. Ainsi donc, au moment où des familles ont pu découvrir — confinement oblige — les bienfaits de l’instruction en famille pour certains enfants, et qu’elles en tirent les leçons (outre qu’elles sont encore invitées en ce moment même, pour certaines d’entre elles, à la reprendre chez elles du fait des fermetures actuelles de certains établissements), il est étonnant que soit annoncée l’interdiction de principe de donner une instruction en famille… N’aurait-il pas été plus opportun, dans les mesures à envisager pour mieux contrôler le contenu des enseignements, d’exiger des familles concernées qu’elles inscrivent leurs enfants à un cours d’enseignement à distance et/ou que l’un des parents justifie d’un minimum de formation (de niveau licence, par exemple) ? Ce mode d’instruction mérite d’être défendu dans son principe, comme le fait très bien le journaliste Matthieu Belliard (Europe 1), directement concerné 1.
Pourquoi annoncer de nouvelles contraintes pour ces écoles alors que l’immense majorité des créateurs d’écoles nouvelles sont des personnes qui ont à cœur de relever des défis éducatifs que l’État n’est plus en mesure d’appréhender ?
S’agissant des écoles indépendantes, les dispositions votées en 2018 dans le cadre de la loi Gatel ont déjà considérablement renforcé et sécurisé le contrôle des écoles indépendantes au moment de leur création et pendant leur fonctionnement. À la Fondation pour l’école, nous sommes bien placés pour savoir que les discussions parlementaires ont été âpres mais qu’elles ont abouti, in fine, à un ensemble législatif équilibré. Les écoles indépendantes font d’ailleurs toujours preuve de la plus grande coopération en se soumettant à la multiplicité des contrôles et des inspections qui leur est imposée, bien plus fréquents que dans les établissements publics. Et elles demandent en vain au ministère de l’Éducation d’avoir accès au « référent justice » lors du recrutement de leurs personnels, ce référent ayant accès à l’ensemble de leur casier judiciaire dont la fiche S.
Les dérives radicales sont ailleurs
Le législateur de 2018 aurait-il donc été inefficace ? Nous ne le pensons pas. En réalité, c’est dans d’autres lieux que se déploient les dérives radicales : écoles clandestines non déclarées, associations sportives, groupements de fait, mais aussi dans les établissements d’enseignement public et privés sous contrat, comme l’a dit le président dans son allocation. S’attaquer au régime des écoles indépendantes, c’est donc se tromper de cible.
Dès lors, pourquoi annoncer de nouvelles contraintes pour ces écoles alors que l’immense majorité des créateurs d’écoles nouvelles sont des personnes qui ont à cœur de relever des défis éducatifs que l’État n’est plus en mesure d’appréhender ?
Le contrôle des financements
Puisqu’il est annoncé de nouvelles mesures de contrôle sur leurs financements, constatons cet autre paradoxe : dans un pays où la liberté est une devise, et qui s’inscrit dans un cadre européen qui instaure la liberté de circulation des capitaux et le principe de non-discrimination en la matière, il est étonnant que des organismes purement privés (qu’ils soient constitués sous forme d’associations ou de sociétés), gestionnaires d’écoles libres, auxquels la loi actuelle fait interdiction de recevoir des subvention publiques (faute de contrat conclu avec l’État pour les classes de l’établissement scolaire) doivent être soumis à de telles mesures de contrôle et aient à rendre des comptes à d’autres personnes que les parents, l’administration fiscale ou le juge pénal, le cas échéant.
Que les pouvoirs publics commencent par utiliser les règles déjà existantes en la matière. Ainsi, outre les règles relatives à TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, un organisme du ministère de l’Économie et des Finances chargé de la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) et celles applicables en matière de déclarations de soupçons (qui font obligation aux établissements financiers, notamment, de vérifier un certain nombre d’informations sur l’origine des fonds et de les porter à la connaissance de l’État, le cas échéant), il faut rappeler que tout organisme qui reçoit plus de 153.000 euros de don (ouvrant droit à avantage fiscal) par an est tenu : de faire certifier ses comptes par un commissaire aux comptes ; de publier ses comptes au Journal Officiel ; de déclarer en préfecture ses campagnes d’appel à la générosité publique ; de tenir, dans une annexe de ses comptes annuels, un compte d’emploi de ses ressources.
Dans ce cadre, l’article L241-2d du code de l’éducation précise par ailleurs déjà que l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale peut exercer un contrôle non seulement des ressources collectées auprès du public, mais également des fonds que les organismes peuvent allouer à des établissements tiers. Cela concerne donc tout établissement qui reçoit des soutiens financiers. S’il faut craindre les financements par des organisations terroristes ou fondamentalistes, commençons par mieux les désigner en vue de les interdire, elles et leurs financements.
Les sanctions existent
S’agissant de l’activité scolaire proprement dite, tant le code de l’éducation que le code pénal énoncent déjà des sanctions sévères à l’égard des familles et des directeurs qui refusent de fermer une école. Ainsi, la famille qui ne déclare pas l’instruction de l’enfant dans la famille risque une amende de 1.500 euros. La famille qui ne respecte pas la mise en demeure du DASEN (directeur académique des services de l’Éducation nationale) d’inscrire l’enfant dans un établissement d’enseignement risque six mois de prison et 7.500 euros d’amende. Le fait d’inscrivent ses enfants dans un établissement malgré une opposition à ouverture de l’État est passible d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende. Et le directeur d’un établissement privé accueillant des classes hors contrat qui n’a pas pris, malgré la mise en demeure de l’autorité de l’État compétente, les dispositions nécessaires pour que l’enseignement qui y est dispensé soit conforme à l’objet de l’instruction obligatoire, et de n’avoir pas procédé à la fermeture de ces classes, est puni d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende. En outre, le tribunal peut ordonner à l’encontre de celui-ci l’interdiction de diriger ou d’enseigner ainsi que la fermeture de l’établissement. Ajouter encore d’autres textes et sanctions à ceux existant rendra la loi bavarde et ne règlera pas le problème du radicalisme.
Aimer la France
Enfin et surtout, soyons plus attentifs à une mesure qui ne coûte rien et qui mettrait un terme à un autre paradoxe, voire à une pratique contestable du « en même temps » : l’islam, dans sa version idéologique et totalisante, vient combler un vide hélas créé par une certaine « élite » française. Cette dernière a, depuis de trop nombreuses années, non seulement renoncé à donner aux élèves la France et son patrimoine à aimer et à admirer, mais a aussi fait preuve d’une capacité peu commune à dénigrer sa patrie et les nobles attachements qui font le ciment d’une nation. Gardiens enthousiastes de l’âme française, levez-vous et transmettez-la !