Tout sur les écoles démocratiques !

Ramin FarhangiLiberté Scolaire s’est intéressé aux écoles démocratiques. Ramin Farhangi, fondateur d’une de ces écoles, a accepté de répondre à nos questions. 

– Que sont les écoles démocratiques ? En quoi sont-elles différentes des autres écoles ?
Les écoles démocratiques sont caractérisées par deux aspects fondamentaux :
1) Les apprentissages autonomes : les enfants sont libres de faire leurs propres choix concernant leurs apprentissages et tous les autres domaines de la vie. Ils choisissent à tout moment ce qu’ils font, quand, où, comment et avec qui, du moment que leurs décisions ne transgressent pas la liberté des autres de faire de même.
2) Le fonctionnement par démocratie directe : les enfants jouissent d’une part égale du pouvoir de décision sur le fonctionnement de leur école, notamment sur le règlement intérieur et son application, participant ainsi à y instaurer un cadre de liberté, confiance, sécurité et respect.

Ces écoles sont tellement différentes des autres (et même des alternatives comme Montessori), que pour se les représenter et comprendre leur fonctionnement, il vaut mieux essayer de visualiser “une communauté de vie”, plutôt que ce qu’on appelle communément “une école”. Cette vidéo de présentation de 15 min est une bonne entrée en la matière sur le premier aspect (les apprentissages autonomes).

– Quelles sont leurs atouts/forces ?
Le principal atout de ces écoles est de créer un contexte dans lequel tout individu, quel que soit son âge, est au contact permanent de sa zone proximal de développement. Tout ce qu’il fait est connecté à un sens personnel et naît de sa motivation intrinsèque, ce qui garantit une implication et une focalisation totale dans ce qu’il fait. Ce cadre favorise de toute évidence ce que le chercheur Hongrois Mihaly Csikszentmihalyi décrit comme le “Flux” (résultats de plus de 20 ans d’enquêtes auprès de personnes se déclarant “extrêmement heureuses” et “hautement satisfaites” de leur vie), ou que Ken Robinson décrit comme “l’Elément” : profond sentiment de bien-être et de vitalité dans son activité, à l’intersection optimale entre défi et compétence ; porté par le sens intrinsèque de l’activité elle-même sans attente de résultat ; en coopération dynamique permanente avec les éléments de son environnement ; sentiment de distorsion de la perception du temps ; ego mis de côté, hors d’état de nuire…
L’expérience démontre que c’est en particulier le mélange des âges qui permet l’épanouissement du potentiel des enfants, tant les interactions entre enfants d’âges éloignés de plus de 3 ans sont riches et favorisent le développement de facultés essentielles à la vie en société. Ces interactions sont malheureusement inexistantes dans l’éducation conventionnelle et même ce qu’on dénomme “alternative”.
Dans un cadre démocratique, l’enfant a l’opportunité de faire son chemin en matière de prise d’initiative et dynamisme créatif, poursuite de l’excellence dans un domaine d’intérêt, écoute et connaissance de soi et de l’autre, capacité à s’exprimer avec confiance au sein d’un cercle de parole de personnes diverses, résolution de conflits et de situations compliquées de la vie, stabilité émotionnelle, transformation intérieure, pleine-conscience… A l’Ecole Dynamique, l’évolution que nous voyons sur les enfants en seulement 7 mois d’existence est d’une telle ampleur que les mots sont dérisoires. Même les 60 articles de blogs que nous avons publiés depuis l’ouverture ne sauraient commencer à décrire notre vécu et notre réalité observable.

– Pouvez-vous nous présenter le réseau de ces écoles à l’heure actuelle ?
Ces écoles sont pour l’instant extrêmement rares et se comptent pour l’instant en milliers dans le monde (moins d’une dizaine en France), tant leur radicale différence par rapport au modèle conventionnel peut dérouter. En particulier, les familles ont des difficultés à avoir une telle foi en l’enfant, jusqu’à lui accorder un pouvoir total de décision sur l’utilisation qu’il fait de son temps.
Cependant, depuis l’ouverture de l’école de la Croisée des Chemins (2014, Dijon) et de l’Ecole Dynamique (2015, Paris), le réseau EUDEC France (Communauté Européenne pour l’Education Démocratique) est en forte croissance. Des porteurs de projets, à présent conscients qu’une telle alternative est possible en France, ont trouvé le courage de se lancer. Par ailleurs, le Lycée Autogéré de Paris et le Lycée Expérimental de Saint-Nazaire (établissements publics ouverts en 1981), et le mouvement des “école du Troisième Type” (initié par Bernard Collot dans les années 60) sont cohérents avec l’éducation démocratique dans la philosophie et la pratique. En les comptant parmi nous, ce réseau est actuellement fort de 11 écoles scolarisant près de 350 enfants, et de 23 projets de création d’écoles, dont 21 sont nés au cours de l’année 2015-2016.

– A long terme, comment voyez-vous ces écoles ?
La route est longue, malgré le fait que le concept a largement fait ses preuves depuis les années 60, et que les anciens, issus d’un tel système éducatif ont tendance à être particulièrement satisfaits de leur vie, responsables, cultivés, compétents, positifs, sociables, politiquement actifs, avec une haute exigence morale. Il faudra, malgré tout, encore au moins deux renouvellement de générations, couplés à des bouleversements sociaux voire civilisationnels majeurs pour que suffisamment d’êtres humains se sentent prêts à s’affranchir de ce qu’on peut appeler la “pulsion de contrôle” des enfants, pour que se forme une masse critique et advienne une ère durant laquelle cette alternative serait considérée comme un choix raisonnable parmi d’autres.
En effet, cette pulsion de contrôle est profondément ancrée dans l’ADN de nos sociétés depuis 10 000 ans. La révolution néolithique a fait naître le besoin de contrôler les enfants pour qu’ils effectuent un travail répétitif, nécessaire à la prospérité des communautés agraires, et le contrôle des enfants n’a jamais cessé depuis. En fait, l’époque que nous vivons actuellement est probablement le sommet ultime en la matière. Surmonter 10 000 ans de conditionnement aggravé ne se fera pas du jour au lendemain. On parle ici d’un enjeu qui est de l’ordre de l’évolution de l’espèce humaine, seulement accessible pour l’instant à une poignée d’aventuriers prêts à questionner tout ce en quoi ils ont cru toute leur vie concernant l’éducation, et traiter leurs enfants comme des personnes émancipées et responsables, quel que soit leur âge. Je pense qu’au cours des prochaines décennies, l’éducation démocratique fera parler d’elle, mais concrètement, le mouvement restera tout petit, au moins jusqu’en 2050.