Transformer l’apprentissage des maths, un défi pour l’école

Par Line Numa-Bocage, CY Cergy Paris Université; Imène Ghedamsi-Lecorre, Université de Tunis El Manar et Thomas Lecorre, CY Cergy Paris Université

La France, dernière de la classe en maths ? Publiés en décembre 2020, les derniers résultats de l’enquête TIMSS ont de quoi inquiéter parents et enseignants. En effet, en mathématiques, la France se situe à la dernière place au niveau européen et parmi les tout derniers au niveau de l’OCDE. Comment expliquer une telle contre-performance ?

TIMSS est un programme international d’évaluation des performances des élèves du niveau CM1 et du niveau quatrième en mathématiques et en sciences. La participation de la France à ce programme, qui a lieu tous les 4 ans depuis 1995, est modeste (elle y a participé quatre fois, en 2015 et en 2019 pour les élèves de CM1 ; en 1995 et en 2019 pour les élèves de 4e). L’objectif est de produire une base de données permettant de positionner les choix éducatifs nationaux en mathématiques et en sciences par rapport à des standards établis, afin de favoriser des comparaisons internationales.

Les données statistiques permettent d’identifier au moins trois facteurs essentiels qui conditionnent les performances des élèves : le contenu, l’organisation et la progression des programmes, l’attitude des élèves face aux mathématiques et la formation des enseignants.

L’ensemble du contenu mathématique sur lequel a porté l’évaluation des élèves de quatrième est réparti sur quatre domaines : nombres (30 % de l’évaluation), algèbre (30 %), géométrie (20 %) et analyse de données (20 %). Ces contenus n’ont pas tous été vus par les élèves français : 54 % des élèves de quatrième ont reçu des enseignements relatifs à l’ensemble du contenu ; c’est le cas d’environ 80 % des élèves de CM1 de l’échantillon.

Il ressort de TIMMS France qu’en raisonnement, les élèves de quatrième sont plus performants qu’en application des mathématiques, et restitution des connaissances ; pour les élèves de primaire, c’est l’inverse. Cela dit, les choix de programmes et de leur progression en mathématiques ne peuvent en aucun cas légitimer, à eux seuls, ces faibles performances des élèves.

Les données statistiques de TIMSS montrent également que plus les élèves aiment les mathématiques, meilleures sont leurs performances dans les évaluations. Mais seule la moitié des élèves de CM1 dit aimer vraiment les mathématiques et cette proportion baisse très nettement en quatrième (11 %). Sans grande surprise, ces mêmes données mettent aussi l’accent sur le lien positif entre la valorisation des mathématiques par les élèves et leurs performances. Ceci confirme les données de la psychologie développementale établissant la corrélation entre plaisir d’apprendre et réussite dans les apprentissages.

Enseignants : questions de formation

Pour ce qui est de la formation des enseignants, aussi bien en CM1 qu’en quatrième, plus de 60 % des élèves ont été à la charge d’enseignants qui expriment la nécessité de compléments de formation permettant l’accompagnement individuel des élèves, le développement de leur pensée critique et de leur aptitude à résoudre des problèmes ainsi que l’intégration des outils technologiques dans les diverses phases de l’enseignement.

Le besoin de développement professionnel ressenti par les enseignants engage la responsabilité des décideurs et acteurs éducatifs à mettre en place des dispositifs d’accompagnement à la hauteur des enjeux de la formation des enseignants et de celle de leurs élèves.

Dans une perspective constructiviste, on change lorsqu’on a la possibilité de se rendre compte des contradictions entre ce que l’on veut faire, ce pour quoi on le fait, ce qu’on croit faire et finalement ce que l’on fait. Notre hypothèse est que ce sont ces contradictions perçues par les enseignants qui motivent leur besoin exprimé de formation. Faire vivre à tous les élèves le plaisir de faire des mathématiques est particulièrement emblématique de ce hiatus entre leur volonté et leur réalité.

Il est clair que le classement de la France dans TIMSS est tout à fait saisissant, on a du mal à imaginer la France quasiment au dernier rang des nations en éducation mathématique. Mais cette prise de conscience de ces résultats et du lien avec la formation des enseignants doit être une occasion historique pour changer et transformer ce réel. Il est alors essentiel de mettre en place une stratégie qui soit guidée par l’ambition de donner à chacun, professeur et élève, la véritable possibilité de se former pour pouvoir penser, œuvrer et participer au monde d’aujourd’hui et de demain.

Redonner goût aux maths

Faire aimer les mathématiques et les pratiquer avec plaisir constitue manifestement une piste prometteuse pour ce challenge. Le rapport Villani-Torossian mentionne pour la première fois, abondamment (22 fois) cette dimension des mathématiques. On pourrait espérer que ce virage porte ses fruits. Toutefois, dans ce rapport, pratiquement aucun dispositif pédagogique de classe n’est mis en évidence pour parvenir à traduire concrètement cette recommandation. Et, en dépit de toutes les volontés possibles des enseignants, mettre le plaisir de faire les mathématiques au cœur de l’activité de l’élève n’est pas si naturel.

L’essence des mathématiques comporte intrinsèquement cette dimension du plaisir par la découverte non seulement d’un monde nouveau mais aussi de ses propres capacités à comprendre ce monde. De plus, la plupart des enseignants n’ont pas connu eux-mêmes, dans leur scolarité, de tels dispositifs. L’enjeu est alors celui de les aider à en prendre conscience et à les concevoir. Ceci réclame une collaboration entre chercheurs, inspecteurs et enseignants dans un climat de confiance et de dialogue.

Au-delà de la filière d’origine des enseignants (qui peuvent venir initialement de domaines de formation très variés en ce qui concerne les enseignants des élèves de CM1), il est impératif de donner l’occasion à tous les enseignants de s’arrêter et réfléchir à la transmission des sciences dans un dispositif prévu à cet effet. Cette opportunité peut être saisie dans l’élaboration du mémoire dans la formation de tous enseignants. À cette occasion, l’observation conjointe entre pairs peut alors avoir les effets recherchés.

Cependant, il apparaît que les outils d’observation efficients ne sont pas suffisamment disponibles pour cette collaboration. Le processus de réflexivité nécessite à la fois des outils pour l’observation et des outils pour traduire ces observations en questionnements, c’est-à-dire des compétences de chercheur, avant de pouvoir être inscrit dans une action pertinente. Il s’agit donc de penser une collaboration entre enseignants, chercheurs et inspecteurs dans un partage de compétence efficient pour concevoir ces outils. C’est cela qu’il reste à imaginer et mettre en œuvre.The Conversation


Line Numa-Bocage, Professeure des Université Science de l’éducation, Psychologue, CY Cergy Paris Université; Imène Ghedamsi-Lecorre, Professor, Université de Tunis El Manar et Thomas Lecorre, Maitre de conférences, laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.