Faire des études supérieures semble aller de soi. On pourrait même y voir désormais, sans beaucoup exagérer, un droit. Tous bacheliers, tous étudiants… A l’heure où le baccalauréat a perdu sa signification et où l’Etat interdit aux facultés de tenir compte des compétences et des moyens intellectuels, les universités se retrouvent surchargées de centaines de milliers d’étudiants inaptes à suivre leur enseignement. Ils n’ont pas les capacités requises. Certains le savent et ne sont là cyniquement que pour toucher les allocations étudiantes ; d’autres l’ignorent et partent la fleur au fusil dans des études qu’ils ne pourront pas réussir. Mais personne ne le leur dit… jusqu’au niveau master où la sélection est alors réelle si l’on veut accéder aux masters les plus intéressants.
Un professeur d’université parle ici sans fard et précise très simplement le niveau de langue française que doivent avoir les candidats pour prétendre à des études.
Il faut naturellement distinguer entre les étudiants en sciences humaines et les autres. Dans le cas des premiers, une petite connaissance « métalinguistique » est nécessaire : les élèves qui entrent dans un cursus universitaire de lettres, devraient savoir désigner les parties du discours, ce qui n’est presque jamais le cas aujourd’hui.
Néanmoins, tout le monde devrait :
• avoir conscience des codes de l’expression orale et de l’expression écrite et être capable de passer des uns aux autres. Tous les élèves devraient veiller à ne pas recourir systématiquement à un langage journalistique et technocratique, qui n’est pas la totalité de la langue. Cela signifie qu’ils doivent être capables de percevoir la différence des niveaux de langue (le familier, le littéraire, le journalistique, etc…). Un entraînement utile dans ce domaine est la reformulation d’énoncés non narratifs, pour apprendre à repérer les formules toutes faites et à les éliminer. En tout cas, jamais l’enseignement ne devrait consister en un dressage à l’emploi de formules que l’élève récite : on doit favoriser la richesse de l’expression par tous les moyens, de sorte que les élèves s’approprient la langue, petit à petit. En d’autres termes encore : il faut acquérir une aisance suffisante dans la langue pour se méfier de ce qui vient tout seul.
• être capable de lire sans effort des livres « consistants » (de plus de 300 pages). L’effort lié à la lecture diminue peu à peu, au fil de la lecture précisément, tandis que s’accroît symétriquement le plaisir qu’on trouve à lire : les élèves devraient avoir lu, au cours de leur scolarité, quelques grandes œuvres du patrimoine littéraire français et étranger et l’avoir fait avec bonheur. La lecture à haute voix (d’abord comme auditeur, ensuite comme acteur) est un bon moyen de faire découvrir ce plaisir unique. La capacité à lire dépend d’un entraînement systématique, sous toutes les formes imaginables. De là vient l’aisance souhaitée dans la langue.
• disposer d’un cadre historique sommaire (ne pas confondre l’humanisme, les Lumières, le surréalisme…) : les noms de Rabelais, Voltaire, La Fontaine, Camus ne sont pas interchangeables, ce qui veut dire que les élèves ont à acquérir une conscience des mutations culturelles, le début d’un certain sens de la relativité historique des comportements et des idées. Attention : il ne s’agit pas de revenir à un enseignement d’histoire littéraire comme il se pratiquait dans les années 60, desséchant et de pure érudition – il s’agit d’un cadre à donner, sommaire encore une fois.
• maîtriser l’orthographe (grammaticale au moins, en particulier dans le domaine de la conjugaison). La lecture a sa place dans cette maîtrise, mais aussi les entraînements classiques sous forme d’exercices, de dictées, etc… La connaissance de la langue est un tout, et l’orthographe, loin d’être « la science des ânes », en manifeste la maîtrise en profondeur : elle apprend le respect de la langue, crée le sentiment que cette langue est partagée par une communauté et qu’elle dépend d’une histoire. L’attention portée à l’orthographe apprend en outre à s’attacher à la lettre du texte, et donc à s’interroger sur le sens des mots : une tournure d’esprit à encourager de toutes les manières, alors que nos étudiants actuels fuient le sens en se réfugiant dans des formules apprises par cœur, au fil d’un enseignement qui relève souvent d’une pure scolastique et non de l’intelligence des textes !
Lazar Roche