Un papa témoigne : « Nous avons choisi une école indépendante pour nos enfants. »

Rentrée des classesFaut-il mettre nos enfants dans une école catholique indépendante (hors contrat) ? Voilà la question que se posait voici deux ans un couple, parent de quatre enfants. Le papa raconte pas à pas leur cheminement. Récit d’une année complète.

Avril – Le temps du mûrissement

L’école indépendante (hors contrat), pas mon truc ! Cette façon de se démarquer me chiffonne. On est parfois si différents et en marge quand on est catho… Alors si on en rajoute avec le choix d’une petite école bien estampillée chrétienne, n’est-ce pas la ghettoïsation directe ?

Le problème, c’est que Jeanne (1), notre première fille (5 ans), vit difficilement sa scolarité dans l’école privée catholique de notre commune : elle s’ennuie au point de ne plus vouloir aller en classe le matin. Une bataille quotidienne pour la lever, la monter en voiture, la laisser à l’école. Le corps enseignant, très bienveillant, a pourtant été remarquable : il lui a déjà fait sauter une classe.

Alors, en cette fin d’hiver 2009, une question nous habite : que faire pour notre fille chérie ? Voici quatre ans, une école catholique indépendante s’est montée à 6 kilomètres de chez nous, en pleine campagne. Quinze élèves pour commencer, puis trente, puis quarante ! Mais toujours de petits effectifs dans les classes : cinq élèves par exemple en CP. N’est-ce pas ce qui pourrait convenir à Jeanne ? Peut-être bénéficierait-elle d’une personnalisation dans l’enseignement, plus difficile avec 25 élèves.

Nous prenons rendez-vous avec le couple fondateur, amis depuis longtemps. Soirée au coin du feu, avec nos doutes, nos questions, nos questions financières : plusieurs milliers d’euros annuels pour trois enfants ! Gloups… Nous allons faire nos comptes…

Mai – Le choix de l’école

Nos trois enfants scolarisés sont invités à vivre une demi-journée à l’école hors contrat, histoire de voir leur réaction. Mon épouse retourne les chercher à midi. Verdict ?

« Maman, demain, on revient dans cette nouvelle école ? »

– Non, vous retournez dans votre école habituelle !

– Oh non, Maman, on veut revenir ici. C’est trop bien ! »

La sauce a pris. Le 6 mai, soirée de présentation de l’école. Nous écoutons assis sur les petites chaises de la classe des maternelles la directrice-adjointe. Elle explique la pédagogie Montessori mise en œuvre pour les petits. « Nous leur apprenons par exemple à faire un bouquet de fleur, laver un torchon, briquer une trompette, mettre le couvert, cirer des chaussures… Ils apprennent à se concentrer, à durer sur un travail, à améliorer leur motricité fine et la logique, à parvenir à un but après plusieurs étapes. » Dans la salle – un ancien chais aux murs de pierre -, le matériel Montessori nous est présenté : lettres en tissu rugueux pour préparer à l’écriture et à la lecture, cartes géographiques en bois découpé selon les contours des pays et continents… Il y en a pour tous les âges. Je flashe : c’est ce type d’enseignement qui conviendra sûrement à mes enfants. Mon épouse, très sensibilisée à cette méthode par sa famille, est heureuse. Nous sommes décidés. Nous nous arrangerons pour que financièrement ça passe. Dès demain, je planterai des pieds de tomates dans le jardin !

Juin-août – Explications tous azimuts

Notre choix commence à être connu dans la famille, parmi les amis, relations, instits et parents de l’école actuelle. Dix fois par semaine, nous expliquons. Pas facile. Car nous connaissons ce que nous quittons mais nous ne savons pas encore ce que nous trouverons dans la nouvelle école. Peut-être serons-nous déçus et, dans un an, demanderons-nous, profil bas, de remettre nos enfants dans le système classique. Il nous faut parfois le préciser : nous ne cherchons pas à nous différencier, à nous singulariser coûte que coûte. Nous sommes chrétiens pratiquants, c’est vrai, mais ne sommes pas hors du monde, hors de la vie locale. Nous aimons les gens d’ici. D’ailleurs, mon épouse continuera à assurer les temps forts d’éveil à la foi pour l’école que les enfants quittent. Vraiment, pour nous, le « hors-contrat », ce n’est pas un idéal de vie !

Septembre – Les premières semaines

Un courriel de la nouvelle école dans ma boîte e-mails. En substance : petits travaux en vue de la rentrée, les papas sont attendus samedi prochain 5 septembre. Aïe, ça commence, on nous avait prévenus. Quand tu choisis le hors-contrat, tu choisis aussi la truelle et le pinceau…

Le maître des lieux me confie une pioche. Objectif : quatre trous dans le sol archi-sec de l’été pour installer deux barrières en bois. Au bout d’une heure à suer, mon corps crie grâce. Il est plutôt habitué au clavier d’ordi. On m’envoie alors repeindre en vert foncé des tableaux à craies. Mon fils aîné (7 ans) est ravi de me regarder donner une nouvelle jeunesse à celui de sa future classe. Ils seront douze CE1-CE2 dans cette petite salle propre et sobre au premier étage de l’ancien bâtiment agricole.

Deux jours auparavant, mon épouse avait assisté à la réunion de rentrée avec les instits. Entre autres enseignements de la soirée : les cinquante enfants de l’école reçoivent des bons points. Ce n’est pas pour récompenser les élèves brillants mais pour valoriser un effort, un progrès. Un élève moyen ou faible qui donne le meilleur de lui-même peut recevoir beaucoup de bons points.

Après trois semaines d’école, je le sais. C’est gagné ! Nos trois enfants, dont Jeanne, reviennent sereins le soir à la maison. En ce mercredi après-midi 30 septembre, notre aîné Corentin (en CE2), dit sa déception à lui : « On n’a pas d’école… J’ai hâte d’être demain ! » Il apprécie particulièrement les leçons structurées proposées d’emblée. Dans sa précédente école, la pédagogie était inductive : à partir d’un premier élément, les élèves étaient invités à faire des propositions, à imaginer la bonne réponse ; le savoir était d’abord élaboré avec l’aide des enfants. Corentin a plaisir à apprendre par cœur une règle de grammaire ou un résumé d’histoire.

Octobre – La tête et les jambes

Es-tu content de ta classe ? Réponse de l’aîné : « Oui, je peux travailler sans me boucher les oreilles. » Vive les petits effectifs ! Pour Jeanne, les feux sont aussi au vert. Dans son CP, elle suit la méthode de lecture syllabique et plurisensorielle Fransya de Ghislaine Wettstein-Badour (Ed. Eyrolles). Une méthode récente que je connaissais déjà. Aucune image, aucune couleur. Rien que du texte noir sur fond blanc pour ne solliciter que l’hémisphère cérébral gauche. Les progrès sont rapides.

Il n’y a pas que l’intellect dans la vie. Ici, nul projet élitiste. Nous apprécions que ce ne soit pas une école pour petits savants vitaminés à l’encyclopédie. Les enfants prennent beaucoup l’air et le vendredi après-midi, c’est fête : sur place, les enfants du primaire ont poney. Corentin aime monter Fripon. Le préféré de Jeanne s’appelle Raffy. Pour les trois enfants de la classe dite « extraordinaire » (elle accueille des élèves handicapés), c’est le bonheur !

Les poneys, on ne fait pas que les monter. Il faut aussi s’en occuper. Une fois par semaine, chaque classe a son jour de “crottin” avec pelles et balais. En peu de temps, notre aîné ne craint plus les bêtes. Elles font désormais partie de sa vie.

Novembre – Un budget lourd

Le budget de l’école n’est assuré qu’à 40 % par les scolarités que nous payons. Il faut donc trouver beaucoup d’argent. Des entreprises donnent au titre d’une contribution obligatoire sur le handicap (pour la classe extraordinaire). Pour le reste, toutes les bonnes idées sont les bienvenues : vente de chocolats de Noël, ventes à domicile (livres, jeux, jouets…).

Le 30 novembre, comme deux fois par an, a lieu une « soirée-crêpes » au sein de l’école. Quatre-vingt quatorze personnes amies ou amies d’amis y participent. Je sers une table de huit. « Et deux galettes jambon-œuf-fromage ! Deux ! » On s’affaire comme dans un vrai restau. À 22h21 précisément, c’est le tour des crêpes sucrées. À 23h30, je suis fourbu. Je ne regarderai plus jamais de la même manière les serveurs dans les restaurants. Heureusement, la soirée qui mobilise de près ou de loin les 27 familles permet de récolter 2400 €. Autre bénéfice : en tenue de service, je côtoie des papas très sympas et très pluriels. L’un travaille dans le social, un autre chez un sous-traitant industriel. Un troisième est jardinier et un quatrième monte une société de services à la personne. Ce sont des « vrais gens » qui bossent et doivent gagner leur pain quotidien. Des gens qui font des sacrifices pour ce choix d’école.

Décembre – L’ouverture à la vie divine

Un mardi par mois à 9h, les enfants de l’école participent à la messe paroissiale, célébrée par le curé. En ce mardi 8 décembre, dans cette petite église de campagne, les cinquante enfants sont là avec leurs professeurs. Autour d’eux plus de 70 paroissiens ou parents, dont je suis, ont répondu présents. Je suis touché par le « spectacle ». Les murs de l’édifice n’étaient plus habitués depuis longtemps à une telle jeunesse !

Cet enracinement paroissial est pour nous essentiel. L’école ne vit pas en marge, en cocon.

Depuis le début de l’année, les enfants nous reviennent fredonnant les chants de louange de la prière du matin. L’instit’ de CE1-CE2 est à la guitare, racontent-ils. C’est l’ouverture du cœur à Dieu-Père qui est recherché, pas le bourrage de crâne religieux. Nous tenons beaucoup à cet état d’esprit.

La veille, le 7 décembre, mon épouse est restée une matinée complète en classe à regarder notre deuxième fille, Brune (moyenne section). L’institutrice Montessori veut que les mamans, une à une, voient leur enfant à l’œuvre. Ma femme revient enchantée d’avoir constaté la grande concentration de Brune et son autonomie grandissante.

Janvier – Les amitiés se nouent

Il y a six mois, nous nous interrogions : nos enfants pourront-ils se faire des amis dans une école qui ne compte que 50 élèves, avec quelques unités seulement par niveau. Ouf, dès le début de l’année, Corentin (CE2) se lie avec deux sympathiques garçons. Autant le dire : école hors contrat ne signifie pas mines tristes, enfants dociles. Place aux jeux, courses poursuites, balles au camp, fous rires, blagues ! Chaque soir, notre aîné revient avec une nouvelle histoire qu’il raconte, hilare. La dernière en date : Deux pommes de terre traversent la rue ; la première se fait écraser ; l’autre s’exclame « Purée ! »

Jeanne, 5 ans, rétive à la foule, facilement en retrait, n’avait jamais eu aucun ami. Les choses changent grâce cette nouvelle école. Ici, moins d’agitation, moins de bousculades. Un soir, elle revient toute fière : « Papa et Maman, j’ai un ami ! » Formidable évolution ! Nous sommes très heureux pour elle. Quant à Brune, 4 ans, elle est comme d’habitude entourée de nombreux camarades.

Les mercredis après-midi, des enfants de l’école viennent jouer à la maison et même dormir ! Mais nous invitons aussi des enfants de l’ancienne école ou d’autres horizons amicaux. En cette fin janvier, le renfermement sur un monde clos n’est pas en vue.

Février – Le suivi personnalisé des enfants

Elle a beau être indépendante, l’école est une école avec visite annuelle de l’inspecteur d’académie. Les connaissances sont contrôlées, par les profs bien sûr mais aussi, une fois par trimestre, par une correctrice extérieure. Une religieuse enseignante, accompagnatrice de plusieurs écoles hors contrat en France, évalue les contrôles. Cela permet d’objectiver le jugement sur l’enfant.

Les petits effectifs offrent une chance inouïe. Dans la classe de CP, par exemple, les sept élèves sont répartis en trois groupes de niveaux. Les deux élèves les plus en avance ont davantage de travail. Et ceux qui ont besoin sont suivis particulièrement. Il y a notamment parmi eux un petit garçon qui connaissait l’échec dans son ancienne école. Son papa, boucle d’oreille au vent, me raconte, lors de la matinée brico du 6 février, que son fils est remis en selle. « Ce n’est plus un problème pour l’emmener à l’école le matin ! »

Mars – L’école vue de l’intérieur

Je me remets il y a un an. A l’époque, nous réfléchissions, nous doutions… Avec le recul, c’est vraiment dans cette école qu’il nous fallait mettre nos enfants. Plus de doutes donc mais déjà un peu de stress ! Que se passera-t-il après le CM2 de notre aîné ? Peut-être faudrait-il créer un… collège indépendant. Et nous rapprocher de la Fondation pour l’École (qui aide à la création d’institutions hors contrat) !

Le mardi suivant, j’ai une chance folle : à mon tour, je passe la matinée à observer le travail de Brune ma deuxième fille. Perché sur la mezzanine au-dessus de la classe des maternelles, je découvre la pédagogie Montessori. Chaque enfant se met à une activité en silence. Par exemple, ma fille apprend à dessiner la lettre « t » en attaché, sur un plateau recouvert d’un peu de sable. L’institutrice reste plusieurs minutes avec un élève puis passe à un autre. Si un enfant est désœuvré ou a une question, il vient tapoter l’épaule de l’enseignante. Paroles au minimum pour que chacun reste concentré.

À un moment donné, trop de bruit. Tous les enfants sont alors conviés à s’asseoir autour d’une ligne rouge de forme ovale collée au centre de la classe. La maîtresse tient une clochette. Enjeu : la passer à son voisin sans jamais la faire tinter. Les enfants se concentrent, retiennent leur souffle… Les gestes sont lents, précis, dans un silence religieux… Ouf ! la cloche a fait le tour. Un à un les élèves se relèvent pour vaquer à une nouvelle activité.

En fin de matinée, je fais un tour dans la classe de mon fils. Les CE2 ont eux aussi des activités Montessori : apprentissage de la pesée avec une balance à plateaux, analyse grammaticale au moyen d’objets concrets. Impressionnant ! Le sujet et le verbe prennent vie dans les mains des enfants. Idem pour les multiplications grâce à des sortes de colliers de perles savamment organisées. Le corps professoral maîtrise les outils, ça se voit.

Dans un coin, une petite ardoise attire mon attention. Dessus, il est écrit : « Mardi 16 mars, je cherche à voir au moins deux qualités chez une personne qui m’entoure. » Encore une fois, la pédagogie mise sur le positif, la bienveillance, l’ouverture à l’autre !

Mes enfants sont heureux, moi aussi. Je jubile et me réjouis de l’investissement financier consenti.

Le mois se termine bien. Le 25 mars, jour de l’annonciation, les parents sont invités à partager un dessert et à prier l’office des complies dans la petite chapelle de l’école. 22h15, c’est l’heure du cantique de Siméon (Évangile de Luc 2, 29-32). Nous chantons : « Car mes yeux ont vu le Salut que tu prépares à la face des peuples. »

Oui, dans une petite école chrétienne rurale sans prétention, mes yeux ont vu.

H. Legris

(1) Les prénoms ont été changés.