Former à la réalité de terrain : une priorité sous-estimée
Enseigner nécessite pour les professeurs d’être en mesure de répondre aux besoins éducatifs particuliers des élèves qui leur sont confiés. Cela s’apprend, et la formation professionnelle doit répondre à cette demande. Alors que la France est le pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse encore fortement sur les résultats scolaires, l’enjeu principal est donc la mise en place d’une politique de développement professionnel structurée, engageante et actuelle. Les enseignants sont encore trop souvent démunis face à l’hétérogénéité des élèves et seuls 22% d’entre eux réussissent à mettre en place une réelle différenciation pédagogique (là où ils sont 74% au Danemark par exemple). Cette situation est une des conséquences du manque d’accompagnement des professeurs tout au long de leur carrière, d’un système qui mésestime le sens du collectif et d’une certaine déconnexion des décisionnaires face à la réalité du terrain.
En France, un système d’accompagnement en pleine régression
Depuis plusieurs années, notamment au 1er degré, la formation des enseignants dépend d’un système de gouvernance de plus en plus “top-down”. Ceci se note dans les priorités, les contenus et modalités de formation proposées. S’en suit une inévitable inadaptation de celle-ci aux besoins du terrain. Sans consultation des principaux acteurs et sans adaptation aux préoccupations locales, les dispositifs actuels de formation sont obsolètes et mettent les enseignants en position d’apprenants passifs. A titre d’exemple, les priorités sont aujourd’hui décidées depuis Paris et imposent au niveau national le contenu de la totalité des heures dévolues à la formation. Focale unique depuis 2018 sur les mathématiques et le français, sans possibilité d’adapter le contenu aux besoins des individus. Ce type de fonctionnement a le travers majeur de déresponsabiliser les professeurs sur l’analyse de leurs besoins, et donc d’induire une forme de désengagement dans le développement de solutions pérennes face aux difficultés du quotidien.
Ajouter à cela, en France, les enseignants ne bénéficient que trop rarement de suivi et d’accompagnement au long cours. Lorsqu’une formation se termine, le soutien et l’accompagnement prennent fin dans le même temps. Cela signifie que, lorsque les enseignants en ont le plus besoin dans leur classe, lorsqu’ils essaient une nouvelle stratégie ou une méthode pour la première fois, il n’y a plus personne vers qui se tourner pour questionner et trouver des chemins de remédiation face aux problèmes de mise en œuvre rencontrés.
Face aux lacunes du système, les enseignants se rabattent sur des soutiens parallèles. De nombreuses communautés se sont ainsi formées pendant le premier confinement pour partager les bonnes pratiques d’un enseignement à distance forcé. Les réseaux sociaux en partie, auront permis l’émergence et le développement de communautés d’apprentissage informelles. Ces initiatives non officielles soulignent bien le besoin crucial d’un accompagnement collaboratif qui va au-delà de la simple formation initiale.
Vers un véritable dispositif qui permette à l’enseignant d’être maître de son évolution
Dans de nombreux pays, l’accompagnement des enseignants va déjà plus loin, avec des résultats probants. Plus les enseignants consacrent de temps à leur développement professionnel (en moyenne 49 heures sur une année scolaire), plus l’impact sur l’apprentissage des élèves est important. Le développement professionnel s’inscrit dans une démarche dynamique et adaptée à chaque individu. Il s’agit d’articuler des dispositifs de formation de manière cohérente en fonction du projet et des besoins d’un enseignant. Ce dernier devient acteur de son développement et est responsable de sa propre évolution.
Cette responsabilisation passe également par la diffusion des pratiques exemplaires et innovantes par les professeurs eux-mêmes. L’échange entre pairs systématisé, le mentorat formalisé tout au long de la carrière ou encore les communautés de pratiques intégrées à l’établissement concourent grandement à la valorisation de l’individu et de la profession. La délégation de tâches d’accompagnement et de formation à un cercle restreint d’élus est un frein majeur au positionnement réflexif de l’enseignant. Ces pistes restent encore peu connues et investies dans le système scolaire français. C’est à la marge et sans le soutien des institutions que certains enseignants ont décidé de continuer à avancer sur ces chemins d’apprentissage collectifs.
A l’image de toutes les organisations, le système éducatif n’a d’autre choix que de se transformer en profondeur. Pendant longtemps, la didactique de l’enseignement a été mise en avant. Il est temps de s’appuyer aussi sur les dispositions de l’enseignement : les connaissances en sciences cognitives et en neurosciences, l’utilisation du langage, l’appréciation et la prise en compte de l’environnement social… Les élèves aussi doivent être davantage impliqués dans cette réflexion, avec la mise en place d’une vraie remontée d’informations de leur part, et leur implication au cœur même des processus de formation des professeurs. C’est ainsi que pourra s’envisager sur le long terme un nouveau fonctionnement, plus hybride et plus adapté à la société actuelle.
N’oublions pas qu’une salle de classe est avant tout une communauté d’apprenants qui collaborent ensemble pour enrichir leurs connaissances.
La démarche de développement professionnel des enseignants doit s’amorcer dès la formation initiale et se poursuivre tout au long de leur carrière. Le conseil scientifique de l’Education nationale (B.O du 18 mars 2021), qui a pour mission de faciliter “la prise en compte des apports de la rechercher scientifique (…) et de la comparaison internationale dans les politiques éducatives”, pourra favoriser ces indispensables évolutions. C’est toute une culture qu’il faut transformer. Nous connaissons et comprenons mieux aujourd’hui les freins rencontrés au niveau des apprentissages de façon globale. Les lever à l’aide de dispositifs d’accompagnement des enseignants adéquats relève de la responsabilité de chaque membre de la communauté éducative.
Tribune rédigée par Julie Higounet, chargée de mission ingénierie de formation pour la Mission Laïque Française