Vers la fondation d’une école libre d’inspiration bénédictine au Sénégal

Au Sénégal, plus de la moitié des enfants ne vont pas à l’école. S’appuyant sur la présence bénédictine en Afrique francophone et avec le soutien des pouvoirs publics sénégalais, le général Tauzin a lancé le pari de créer une école libre, financièrement autonome, à Sédhiou, dans le diocèse de Kolda. Le général Tauzin, qui a conçu et réalisé le projet d’une école indépendante à l’étranger, répond à nos questions.

Général, avant de vous lancer dans ce projet en Afrique, rappelez-nous quelques étapes de votre parcours d’éducateur.

Dans l’armée, tout officier est avant tout un formateur : il lui faut éduquer et instruire ses hommes, ce qui est déjà une aventure humainement et spirituellement magnifique. Ancien commandant du Service Militaire Adapté (SMA, service d’insertion réservé aux jeunes Français des DOM-TOM), j’ai aussi été, à la demande expresse de Michèle Alliot-Marie, le concepteur de l’établissement public d’insertion de la Défense (EPIDe), ces « centres Défense-2e chance », dont j’ai été ensuite le directeur général adjoint. J’entame ici une « deuxième vie» qui doit autant au métier militaire qu’à ma fréquentation assidue des monastères bénédictins. Et qui restera résolument tournée vers la jeunesse.

Quelle est la situation de l’enseignement au Sénégal ?

Au Sénégal, moins de 60 % de la jeunesse scolarisable est scolarisée. Dans la région de Kolda où nous œuvrons, moins de 40 % des jeunes vont à l’école. Quel gâchis ! Le pays a besoin, pour se développer, de former ses jeunes, qui trop souvent encore, ne passent que quelques mois sur les bancs des écoles de brousse, bien sommaire, avant d’aller aider leurs parents à cultiver leur maigre lopin.

Il existe deux systèmes scolaires, si je mets de côté les écoles coraniques : l’enseignement d’État, en voie d’effondrement, où les enseignants et les élèves se succèdent pour faire grève ; et l’enseignement catholique, plébiscité par tous, en particulier par les parents musulmans modérés (le Sénégal compte de 85 à 90 % de musulmans). L’évêque de Kolda me disait que s’il en avait les moyens il ouvrirait cent écoles catholiques dans son diocèse pour répondre àla demande. Voyez, nous avons du pain sur la planche !

Avec votre association, “Les compagnons bâtisseurs d’espoir », et de nombreux partenaires locaux, vous avez lancé un vaste chantier en Casamance, plus précisément dans le diocèse de Kolda.

L’association « Les compagnons bâtisseurs d’espoir » a été fondée en 2009. Notre projet, à terme, est de construire une école libre, catholique d’inspiration bénédictine, financièrement autonome, adossée à une exploitation agricole dont les bénéfices financeront le fonctionnement de l’école, et qui donnera du travail et des débouchés àla population. Nospremiers investissements ont permis, dès 2010, de lancer l’exploitation agricole qui couvrira à terme50 ha, dont 10 sont d’ores et déjà défrichés, clôturés, irrigués et plantés. Nous louerons des parcelles à des agriculteurs indépendants qui vendront leur production.

Pour créer cette école, nous avons l’appui des pouvoirs publics au plus haut niveau, en particulier du Secrétariat général de la Présidence de la République sénégalaise, et du ministre sénégalais de l’Éducation nationale, dont nos écoles respecteront les normes et les programmes. Nous bénéficions du soutien de l’Agence nationale pour la relance de la Casamance.

Cette première école sera bâtie sous l’égide d’une association de droit sénégalais : l’association « Saint Benoît de Kolda ». L’évêque de Kolda, le Père Abbé de Keur Moussa et moi-même disposons des pouvoirs pour lancer et gérer l’association. Le travail opérationnel est confié au Directeur de l’enseignement diocésain de Kolda, le Père Olympio, homme d’action et de terrain.

L’école ouvrira ses deux premières classes à la rentrée d’octobre 2012. Nous avons commencé la construction cet automne et pour cela emprunté 100 000 € remboursables en cinq ans.

Une école, ce sont des murs, mais aussi et surtout des enseignants

Nous avons recruté nos trois premiers enseignants, qui ont une excellente formation professionnelle reçue au Sénégal, et leur avons dispensé une formation à la Règle de saint Benoît, en septembre 2011 à l’abbaye de Keur Moussa. En effet, s’il est nécessaire de construire des murs et d’obtenir des finances, c’est bien la formation des enseignants qui fera in fine la réussite ou l’échec de ce projet.

Ces enseignants ont réfléchi à la raison d’être d’une école d’inspiration bénédictine, à la façon de vivre cette mission d’enseignant chrétien de spiritualité bénédictine au sein d’une population majoritairement musulmane. Ils ont rédigé un projet éducatif, qui s’enrichira au fil des années.

Notre premier établissement scolaire sera une école primaire, à laquelle nous ajouterons plus tard les classes de la 6e à la 3e. Cet établissement est destiné à recevoir in fine 400 élèves en dix classes de 40. Bien sûr, ce ne sont pas les normes européennes, mais si vous voyiez le sérieux des écoliers des écoles catholiques sénégalaises, leur bonheur d’apprendre et de découvrir le monde…

Quelles sont les méthodes pédagogiques dont vous vous inspirez ? Dans quelle langue se fera l’enseignement ?

L’enseignement sera dispensé en français, langue nationale du Sénégal. Plus que de « méthodes pédagogiques », nous puisons notre inspiration dans la tradition bénédictine, dont le Ora et Labora, « Prie et Travaille » est la pierre angulaire. Le travail manuel, à but éducatif bien sûr, y sera donc pratiqué. Une vie spirituelle, adaptée à la présence de nombreux enfants musulmans (dont les parents auront auparavant signé l’engagement à respecter la particularité bénédictine de l’établissement…) sera instaurée. Nous bannirons l’élitisme de mauvaise compétition pour porter attention au développement intégral de chacun, en instaurant, par exemple, un tutorat entre enseignants et élèves. Il s’agit bien de donner à ces enfants une formation inspirée de la règle de saint Benoît, une règle vieille de quinze siècles et toujours aussi féconde pour le développement intégral de la personne, aujourd’hui redécouverte en France par des chefs d’entreprise et des responsables en tout genre soucieux de faire vivre harmonieusement leurs collaborateurs.

Tout cela ne serait pas possible sans la présence bénédictine

Cette présence se développe d’année en année. On compte aujourd’hui une centaine de monastères africains obéissant à la règle de saint Benoît, et il s’en crée chaque année ; c’est un véritable espoir pour l’Afrique quand on se souvient du rôle majeur tenu par les monastères bénédictins dans la constitution de la civilisation européenne entre les VIe et XIIe siècles surtout. Au Sénégal précisément, Keur Moussa, abbaye de moines, a été fondée en 1963 par Solesmes ; aujourd’hui, elle compte environ 60 moines dont une douzaine ont fondé le prieuré de Saint-Joseph de Séguëia, en Guinée Conakry. Keur Guilaye, abbaye de moniales, a été fondée par Sainte-Cécile de Solesmes ; la communauté compte environ 25 moniales.

Général, merci de cet entretien. Nous souhaitons bonne chance à votre projet, et rappelons l’adresse de votre association : Les Compagnons Bâtisseurs d’Espoir : 31 rue Desfourniel – 33310 Lormont

Cette association déclarée d’intérêt général peut délivrer des reçus fiscaux ouvrant droit à réduction d’impôt pour les particuliers(66 % du don effectué) et pour les entreprises (60 % du don). Son site : www.ecoles-benedicitnes-senegal.com